Présenté en ouverture du 5e Festival de l'Absurde Séance de Nantes, après avoir été projeté à l'Étrange Festival de Paris et à Cannes [où il n'a pas été forcément bien reçu], le premier film de Katrin Gebbe, qui n'a pour le moment aucun distributeur en France, mérite pourtant d'être vu.

Tore est membre de "Jesus Freaks", obscure obédience christo-punk, qui perpétue à sa manière les traditions chrétiennes de mises à l'épreuve et de vie chaste. Ni idiot ni niais, affichant une foi lumineuse et une naïveté bienveillante, Tore rencontre Benno, qui sous ses dehors sympathiques, se révèle être d'une perversion extrême. L'homme habite avec sa compagne et les deux enfants de celle-ci, un petit garçon et une adolescente de 15 ans. La mère et la fille vivent sous le joug de ce tyran domestique, uniquement guidées par la peur et leur propre survie. Tore est accueilli à bras ouvert. Puis le calvaire commence.

Tora Tanzt est un film tendu et froid. Démarrant très doucement, il prend le temps de peindre la complexité des relations qui se nouent entre tous les membres de cette fausse famille aux apparences "normales". Le scénario construit le piège dans lequel le jeune homme se jette, tisse les liens qui vont le lier à la jeune Sanny [chacun puisant en l'autre la force de tenir], et dessine en creux le portrait d'un tyran à la perversion dévastatrice.

Dans sa foi brandie, Tore se voit martyr, se veut martyr et le devient. Il vit les humiliations infligées comme autant d'épreuves que Dieu lui réserve. Perdu, sans aucune attache affective, totalement drogué de dogmes religieux, Tore n'est pourtant pas un illuminé. Il sait rire, s'amuser, danser. Il sait aussi se défendre. S'il ne le fait pas, c'est par choix. S'il défend Sanny, c'est par amour.

Construit en trois parties, "Foi, Amour, Espérance", comme la trilogie d'Ulrich Seidl, Tore Tanzt est un film d'apprentissage à la conclusion froidement logique. On regrettera cependant un tournant trop brutal en troisième partie, un cap à peine tolérable est alors franchi, sans rattachement narratif cohérent. Si la fin est particulièrement rude, mais réussie, on aura mis quelque temps à reprendre le fil du récit.

Il faut souligner une mise en scène puissante et rigoureuse, une musique en symbiose, et surtout une interprétation exceptionnelle. Dans le rôle de Tore, astre fragile puis ange déchu, Julius Feldmeir est tout simplement hallucinant.

Tore Tanzt n'est pas un film parfait, mais il propose un regard d'une profonde acuité sur la perversion, la croyance et l'oubli de soi. Et Katrin Gebbe est une cinéaste à suivre.
pierreAfeu
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le 3 oct. 2013

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