Ainsi continue notre voyage à travers le cinéma de Jean Rollin, auteur s'il en est. Après un échec commercial cuisant ("La rose de fer"), il tourne "Les démoniaques", épopée aux portes du nanar sur le calvaire de deux naufragées. Le film se vend mieux que son grand frère et offre à Rollin l'opportunité de tourner à nouveau un film fantastique. Ajoutez aussi à cela le tournage de deux films érotiques (que l'on a brièvement évoqué dans les dernières critiques) qui a permis de pas mal renflouer les caisses.
Nous sommes en présence de l'un des films les plus sombres de la carrière du réalisateur. La première scène le montre bien : une ambiance sépulcrale, abyssale se met en place, alors qu'on enterre un corbillard. L'intrigue commence de façon banale, dans un contexte parisien très chic (la mise en vente d'un parfum très cher), mais tout s'enflamme et notre personnage veut retrouver les ruines de son enfance malheureuse. Le monde est ligué contre lui, car le site semble maudit. La caméra a rarement été aussi maitrisée et, malgré un éclairage moins frappant que dans "Le frisson des vampires", Jean Rollin parvient à délivrer cette atmosphère si typique de son travail artistique.
Ici, les acteurs sont très bons malgré un jeu qui trahira certains (oui oui, Jean-Loup Philippe, on sait que tu étais un acteur de théâtre !). Cependant, on a de bonnes surprises comme la présence hantée de la très jolie Annie Belle (vue dans "Tout le monde il en a deux" de Michel Gentil). La photographie est décente et c'est la trame un poil décousue du film qui le rendra moins bon qu'il n'aurait pu l'être. Toutefois, l'histoire plutôt originale sauve en grande partie les lacunes de la mise en scène.
Des idées, notre Jean national en a ! Plus inspiré que jamais, il réalise une fresque urbaine et décalée avec une réflexion sur le traitement des maladies mentales en France en toile de fond. Pas avare de longs plans-séquences mélancoliques et pleins de beauté, il donne au spectateur la vision d'une magie grandiose et enchanteresse.
NB : Il existe une version hard du film nommée "Suce-moi vampire", que j'ai eu la chance (?) de voir. Etant extrêmement difficile à trouver, je peux vous la résumer en quelques mots. L'histoire est totalement différente et on retrouve de nouveau acteurs totalement sortis du monde porno (notamment Eva Quang). Selon ses dires, Rollin a tourné laborieusement deux longues scènes pornographiques qu'il a couplées à des extraits du "Lèvres de sang" original pour ainsi créer ce produit final si étrange, qui restera comme l'un des travaux les plus dérangeants de sa carrière (surtout la scène de fin, où l'acteur qui assure la scène porno n'est ni plus ni moins que Rollin lui même !). Il niera pendant 30 ans avoir réalisé ce film (d'ailleurs pour celui-ci il avait pris un pseudo différent de d'habitude, à savoir Michel Gand, au lieu de Michel Gentil ou Robert Xavier), avant de finalement avouer en 2005.
(il faut vraiment que j'arrête de mettre des parenthèses partout !!!)