"L'art de vivre" par Nadine de Rothschild.

Dan Gallagher (Michael Douglas, visage poupin) est un avocat comblé personnellement et professionnellement, qui fait la connaissance d'Alex Forrest (Glenn Close, zombie vaguement inquiétant), qui l'attire sexuellement et dégage un entêtant parfum d'interdit. S'ensuit une liaison illicite culminant dans des corps à corps grotesques (Douglas, le pantalon baissé jusqu'aux mollets, portant à bout de bras sa maîtresse vorace vers le lit, ou encore une scène prétendument torride en ascenseur qui devient un dévorage mutuel de chair, minable et hilarant). Mais Alex se révèle une psychotique acharnée qui va chercher à détruire la vie bien réglée de l'homme qui la repousse pour revenir vers sa femme et sa fille.

La quintessence du mauvais goût et de l'hypocrisie.
On se demande ce qui a bien pu passer par la tête du metteur en scène, de son monteur et des producteurs pour créer de telles séquences et avoir l'illusion d'en faire un film. Ou plutôt si : leur volonté est de racoler au maximum un public friant de sensations fortes, sans jamais aller jusqu'au bout de leurs prétentions. Un spectacle incomplet, aux ellipses abruptes, mais qui ne nous frustre jamais, pour la simple raison qu'il ne suscite aucune excitation préalable.
« Liaison Fatale » n'a ni l'ambition ni le courage d'être un honnête thriller ou un bon film d'horreur psychologique. Non, Adrian Lyne joue à l'artiste (il nous offre un plan d'ensemble ou l'on distingue Gallagher, seul, post coïtum, dans les rues désertes de Manhattan), abuse d'un symbolisme à deux sous et fait baigner son histoire dans des teintes grises et ternes pour simuler un "réalisme" risible. Les scènes choc tombent à plat (la tentative de suicide d'Alex), et le film n'a même pas l'intention de divertir ou de provoquer des secousses toniques ; les effets restent, au mieux, miteux et stériles (évoquons la pathétique « scène du lapin », plate et idiote, que n'importe quel réalisateur de série B aurait mieux réussie, ou ces instants de faux suspense sur une baignoire qui se remplit).

Le film serait insignifiant et drôle s'il n'exprimait pas des concepts aussi décourageants et s'il ne révélait pas les idées lamentables que les scénaristes et les individus qui financent ce type de projet ont de ce que le public est supposé aimer, car il exploite jusqu'à la nausée les deux seuls stéréotypes féminins que les pires romans de gare semblent connaître : l'épouse légitime, offensée et estimable, et la garce manipulatrice et destructrice (cette-dernière jouant ici la carte du schéma de harcèlement traditionnel : séduction, passion, pression, chantage, cajoleries puis menaces). Adrian Lyne parvient même à échouer dans la maîtrise des clichés auxquels il aspire: son Alex n'a aucune grandeur, aucune dimension fascinante. Ce n'est ni une femme dragon, qui emporterait tout sur son passage, ou un vampire terrifiant et paralysant ; dans une tentative désolante pour justifier sa frénésie, on la fait tomber enceinte pour pousser Gallagher à assumer ses responsabilités ; tout enjeu dramatique est tué lorsqu'Alex est présentée comme une victime, abandonnée dans son salon, écoutant un enregistrement de « Madame Butterfly » , jouant machinalement avec l'interrupteur d'une lampe tandis que Dan, dans des plans insérés, s'amuse au bowling. Il est impossible de la prendre au sérieux quand, déchaînée, elle brandit un couteau de cuisine pour se jeter sur sa proie.
Les acteurs n'ont absolument aucune marche de manœuvre, aucun moyen d'échapper à l'indécrottable vulgarité de leurs personnages(le collègue de travail de Gallagher, Jimmy, est un porc adipeux et malsain) ou à leur banalité crasse (Glenn Close, comédienne brillante et intelligente, n'a ici aucun espace pour exprimer son talent).

Il est rare de voir un film où évoluent des personnages aussi détestables sans réelle distance ironique et avec une telle tartuferie. Gallagher a connu ce qu'il considère comme un moment de faiblesse, et seul son mariage demeure important, lui qui n'a pas hésité à trahir la sacro-sainte structure conjugale dès que Madame a eu le dos tourné («Nous sommes des adultes, non ? », lance-t-il, pontifiant et fier de lui, à son amante agressive au moment de la quitter après une nuit d'amour). Mais Adrian Lyne ne veut pas faire de Gallagher un homme résolument méprisable : il reste, à ses yeux, un mari protecteur et ambitieux, que son épouse regarde avec attendrissement, et que sa famille ramène dans le droit chemin. Le message est limpide et transmis avec une sereine confiance : il est possible de tromper sa femme, du moment que l'on retourne à ses côtés et que l'on protège les siens des attaques dérangeantes d'une hystérique (« J'ai peur. Je ne veux pas perdre ma famille », confie Dan à Jimmy).

« Liaison Fatale » est un film pour voyeurs, certes, mais pour voyeurs qui veulent conserver un côté net, propre et moral. La confrontation finale grand-guignolesque et ridicule laisse ainsi place à une conclusion très cosy : le couple légitime a éliminé l'intruse, et le tableau familial est restauré (on ne peut échapper au plan de fermeture sur la photo des trois Gallagher, unis quoi qu'il advienne).
Frankoix
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le 18 déc. 2011

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