Si Liberté fait appel aux sens du spectateur, c’est moins par volonté de lui imposer une façon de sentir que pour lui donner à vivre une expérience, pour partager une initiation à laquelle il prend part de façon personnelle de la même façon que la jouissance des libertins articule le désir singulier à l’énergie d’un collectif. Le long métrage commence et s’achève quand le jour et la nuit cohabitent, offrant ainsi à son récit un cadre temporel et spatial unique composé d’une forêt plongée dans l’obscurité ; un tel choix esthétique symbolise à merveille ce que le libertinage pouvait représenter dans la société du XVIIIe siècle, soit un art de vivre situé à l’écart, en marge de la civilisation quoique l’esprit de cette dernière, marquée par la conversation et la tempérance apparente des plaisirs de la chair, que l’on intellectualise comme un raffinement suprême, demeure malgré tout.
La puissance troublante du film réside alors dans la rigueur d’exécution et la place laissée à l’imagination – le travail de la lumière/pénombre, le sens du cadrage ne laissant que rarement l’acte sexuel explicite, les narrations et dialogues incessants invitent le spectateur à participer à l’orgie en lui conférant une position double, à la fois voyeur et membre à part entière de l’expérience qui se joue devant lui. Le titre interroge la notion de liberté au cœur du mot libertinage : il représente des êtres qui se contraignent afin de réaliser leurs fantasmes, des hommes et des femmes qui subissent l’absence de règles comme la plus douloureuse des règles, à savoir la nécessité de brimer le désir pour assurer sa subsistance – le désir est, par définition, marqué par l’inassouvissement et l’absence.
La politesse des manières, l’humilité parfois synonyme d’humiliation et la culture font des libertins des honnêtes hommes en puissance, à la seule différence près qu’ils utilisent la religion à des fins impies pour tirer les femmes des couvents dans lesquels elles s’enferment et, à terme, accéder à une béatitude qui les fait rire ou sourire – le rire étant la marque du Malin. Albert Serra livre, comme à son habitude, une œuvre troublante, enivrante et déstabilisante qui retranscrit avec précision et ingéniosité l’esprit du libertinage à la veille de la Révolution française.