En 2019 nous avions eu droit au neuvième et génialissime film du sale "vieux" gosse Quentin Tarantino, Once Upon a Time... in Hollywood. Une fresque se déroulant à Hollywood comme il est facile de le deviner. Quelques temps plus tard nous apprenions la mise en chantier du neuvième film du génie scénaristique Paul Thomas Anderson, Soggy Bottom de son nom de travail. L'on nous annonce que l'histoire de ce dernier suivrait un jeune acteur lycéen durant les années 70 à Hollywood.
Les deux amis cinéastes se seraient-ils donné le mot ? Neuvième film chacun, sur un acteur d'Hollywood en 1970 ? C'était déjà assez peu malin de le penser à ce moment là tant les deux ont leur propre manière de traiter les sujets, mais depuis que Soggy Bottom s'est transformé en Licorice Pizza et que le synopsis fut ainsi mis à jour, nous ne pouvions plus avoir de doute, l'Anderson et le Tarantino n'auraient rien à voir.
Après l'histoire d'amour loufoque et colorée de Punch Drunk Love et celle superbement toxique de Phantom Thread, il faut croire que ce cher Anderson n'en a pas fini avec le sujet. Pourtant parti pour un autre projet après le fil fantôme, Anderson a finalement été rattrapé par l'envie de faire tourner la chanteuse Alana Haim du groupe Haim, pour lequel il a réalisé de nombreux clips. La relation entre le cinéaste et la famille Haim ne s'arrêtant pas là, loin de là, puisque Paul fut l’élève de maman Haim quelques décennies plus tôt.
Licorice Pizza est donc en quelque sorte un projet pulsion. Du moins c'est par pulsion qu'il s'y est pleinement lancé. Cela faisait malgré tout de nombreuses années que des anecdotes sur cette époque et l'envie de raconter une certaine jeunesse des années 70 lui trottait dans la tête. Notamment l'idée d'un adolescent draguant une jeune femme.
Licorice Pizza, désignant donc un vinyle, plat comme une pizza et noir enroulé comme un réglisse, est choisi comme titre car renvoyant directement à cette époque, où un magasin de disques portait ce nom dans la vallée de San Fernando. Vallée dans laquelle a grandi Anderson et qu'il a mis en scène à plusieurs reprises, pour ne pas dire toutes avant son tournant orchestré avec There Will Be Blood. Il repose donc sa camera chez lui après un bon bout de temps. Le film étant d'ailleurs proposé au format scope, format qu'il a quitté lors de ses trois derniers films au profit du 16:9.
Soggy Bottom, titre de travail, trouve malgré tout sa place dans l'histoire, en tant que nom d'entreprise de Gary pour la vente de matelas à eau. Pour l'anecdote, Anderson cherchait une personne pour jouer le vendeur de matelas qui donne l'idée au personnage de Gary. Il s'est alors rappelé du père de Leonardo DiCaprio qui pour lui avait le look parfait. Le père de Léo ayant d'ailleurs avoué à PTA qu'il a dans sa jeunesse réellement possédé un magasin de matelas à eau, nommé... Foggy Bottom. L'idée vient donc de là. Anderson déclarant avoir bêtement retenu ce qu'il voulait de cette histoire et ainsi sans le faire exprès a transformé Foggy en Soggy. Pour en finir avec cette parenthèse, le père de DiCaprio, George, joue le rôle du propriétaire du magasin dans le film. La boucle est ainsi bouclée.
Alana Haim est donc en quelque sorte l'élément déclencheur de cette fresque romantique, elle qui n'a jamais joué auparavant. Pour l'accompagner dans ce couple pour le moins compliqué, Anderson n'a pas eu à chercher bien loin. Où trouver un jeune adolescent qui n'a lui non plus jamais tourné mais qui pourrait tenir tête ? Il lui a suffit de proposer le rôle à une personne qu'il connaît depuis l'enfance, le fils de son feu grand ami Philip Seymour Hoffman, Cooper. Les deux jeunes s'en sortent impeccablement. L'alchimie entre les deux transpire à l'écran, paraissant si évidente. Je suis d'ailleurs bien curieux de revoir un jour Cooper dans un film.
Comme toute œuvre signée PTA, le casting est florissant. Particulièrement intime cette fois-ci, en effet sa famille y est glissé. Ses enfants, comme sa compagne bien connue Maya Rudolph, sa famille a elle également. Tout comme la famille Haim au grand complet, leurs prénoms n'ayant d'ailleurs même pas étés changés.
Quelques noms au delà de l'intime brillent tout de même à l'écran, ainsi Sean Penn en William Holden, renommé ici Jack, nous offre une belle cascade à moto, tirée d'une vraie rumeur. Il est accompagné d'un certain Tom Waits à ce moment là. John C. Reilly, fidèle du cinéma de PTA lors de ses trois premiers films se fait discret mais délivre pourtant un caméo amusant à dénicher. Benny Safie campe quant à lui un rôle émouvant évoquant un sujet sensible de l'époque. Puis celui dont on a le plus entendu parler ces derniers temps, l'évidence, Bradley Cooper, en Jon Peters survolté et surtout fantasmé, car d'après les dires d'Anderson et d'autres, le véritable Peters serait tout à fait adorable.
Après plusieurs films qui ont laissé sur le coté nombreux de ses fans, Paul Thomas Anderson revient, en quelque sorte, à ses fondamentaux. Los Angeles, une mise en scène virevoltante, plusieurs personnages, une photographie colorée. Pourtant, si la vibe de Boogie Nights peut se sentir, plus le film avance, plus une allure d'Inherent Vice reprend le dessus. En effet avec son récit romantique au montage brumeux, Anderson semble nous bourlinguer comme dans ce vieux camion sans essence qui dévale la colline.
Si la première partie du film est fluide et fougueuse, la seconde s'avère plutôt construite comme une sorte de film à sketch, déroutant donc. Pas déplaisant, loin de là, le film reste un petit bijou de tendresse et d'humour, j'avais d'ailleurs mal à la bouche à force de garder un sourire constant.
Mais force est de constater, cela fut d'ailleurs confirmé par le monteur, que le montage a volontairement été tronqué de ses scènes longues ou lentes pour garder ce mouvement perpétuel. Il est vrai que les plans fixent sont bien plus rares que dans ses récents projets.
Faut dire qu’apparemment le montage initial frôlait les 4 heures. D'ailleurs plusieurs plans, et donc scènes, de la bande annonce, sont coupés du métrage, comme ce fut également le cas à l'époque d'Inherent Vice.
Licorice Pizza sonne ainsi un certain retour au source pour Anderson, tout en continuant cependant d'enrichir sa filmographie. Enivré par une bande originale délicieuse, il nous fait rire, sourire, courir également, beaucoup. Il joue avec nos émotions, nous plonge durant 2h13 dans les années 70. Il nous fait vivre durant ce court instant, long pour d'autres certainement, cette histoire, cette époque. Nous sommes témoins de cette histoire d'amour improbable entre un jeune de 15 et une jeune femme de 25. Puis comme si cela n'était pas assez clair, Anderson, de son humour subtil, nomme le garçon Valentine, évidemment.