Lucio Fulci est particulièrement connu pour ses films d’horreur au budget certes restreint, mais qui frappent par l’intensité des ambiances de ses histoires (son chef d’œuvre restant pour moi La maison près du cimetière). Pourtant, peu connaissent Beatrice Cenci, une tentative intéressante d’utiliser son savoir-faire dans le gore pour s’intégrer dans une réalité historique : celle de l’inquisition. Contexte propice à quelques scènes de tortures bien senties, et à un discours totalement anticlérical. Visionné grâce à la collection Neo Publishing (à laquelle il convient de rendre hommage), le film est une agréable surprise puisqu’elle nous laisse voir des capacités de réalisations qui tranchent beaucoup avec le reste de sa filmographie.
Vraiment, Lucio a de quoi nous étonner avec ce film, qui passerait pour une production de la Hammer tant la mise en scène est bien étudiée (de la même façon qu'il s'essayera au style du film de gangster avec La Guerre des Gangs). C’est simple, l’histoire prend son temps pour se dérouler, les lieux sont bien filmés, la reconstitution d’époque est convaincante, les acteurs s’impliquent vraiment dans leurs rôles… Les bons points ne manquent pas pour louer la réalisation de l’œuvre, qui parvient totalement à nous placer dans un contexte historique et à nous raconter l’histoire de la famille Cenci, et pas seulement de Béatrice (mais comme elle est la figure populaire de la famille, elle est plutôt mise en avant). La trame du film pourrait être séparée en deux parties : le quotidien de la famille avant la mort du père Francesco, puis l’enquête de l’inquisition et les ravages qu’elle va occasionner. Partant d’une histoire de famille sordide mais connue (un parricide en réponse à des années d’humiliations), le discours anticlérical vient surtout du fait que l’Eglise est intéressée par le fric, et qu’elle lorgne depuis belle lurette sur l’héritage de la famille Cenci. Les religieux ne sont en aucun cas des fanatiques (à l’inverse des inquisiteurs du film Les Diables ou d’un Silent Hill), mais des personnes qui cherchent à s’enrichir et qui ne font que chercher des prétextes pour parvenir à leurs fins. Les pauvres sont brûlés pour servir d’exemples aux autres, mais les riches sont brûlés pour que leurs biens soient confisqués par l’Eglise. Un des avocats résumera magnifiquement la chose par un « moins vous serez riches, moins vous serez amené à commettre quelque scélératesse. ». Les inquisiteurs ont juste besoin d’un prétexte, d’un aveu ou d’une preuve, et ils empochent le pactole d’un coup. Vision clairement manichéenne, mais qui rétablit l’équilibre sur une chose : riche ou pauvre, personne n’était à l’abri de l’inquisition en ces temps troublés.
Le film nous donnera donc son lot de sentiments pour le moins assez forts (le domestique qui endure un interrogatoire de plusieurs jours, donne ses aveux et qui trouve encore la force de se rétracter pour épargner sa maîtresse (ce qui inclut de retourner encore au supplice)), voire carrément révoltant (le supplice de Béatrice et son silence… réduit à néant par les aveux rapides des autres membres de sa famille). La force du film est là, et les tortures réalistes (rien qui ne donne dans le gore démentiel) servent bien ce drame effrayant que subit une famille entière. Après, le film n’est pas exempt de défauts. On peut par exemple regretter un montage des scènes un peu aléatoire, qui ne cesse d’entrecouper passé et présent (avec l’enquête de l’inquisition), alors qu’une trame linéaire aurait parfaitement servi le sujet. Si le rythme baisse parfois un peu, les dialogues sont plutôt bien répartis permettant de cerner la pensée de son interlocuteur avec justesse. Enfin, une musique n’ayant pas vraiment d’épaisseur vient enrober tout ça, mais le spectacle se révèle suffisamment de qualité pour délivrer un message clair et immerger le spectateur. Une œuvre puissante et bien maîtrisée par un Fulci inspiré. Très recommandable.