On sait que Hitchcock a toujours été fasciné par la gageure de tourner un film entier dans un décor restreint, Lifeboat sera sa première expérience dans ce domaine, ce qu'il renouvellera ensuite dans la Corde et Fenêtre sur cour. Débarqué de chez Selznick, Hitchcock signe un contrat avec la Fox pour 2 films et a déjà en tête cette idée de tourner un film sur un canot de sauvetage que la caméra ne quitte jamais ou ne montre pas de l'extérieur. Tourné dans un immense bassin, entièrement en studio, où le canot était amarré, avec un effet continuel de vagues pour que le canot ait toujours l'air en mouvement, le film fut en réalité un microcosme de la guerre qui en 1943 battait encore son plein.
Hitchcock a révélé dans ses entretiens avec Truffaut, qu'il voulait montrer 2 forces en présence : les démocraties et le nazisme ; alors que les nazis savaient très bien où ils allaient, les démocraties étaient en désordre, il s'agissait donc d'oublier ses différences et divergences pour s'unir face à un ennemi commun particulièrement puissant par son esprit d'unité et de décision. Lifeboat réunit donc à bord du canot divers personnages représentatifs des composantes de la société.
Les pièges d'un tel sujet pouvaient tenter le réalisateur d'opposer schématiquement les sympathiques Américains aux ignobles nazis, mais Hitchcock a su habilement l'éviter en faisant une parabole parfois féroce sur l'attitude irresponsable adoptée par les pays démocratiques face aux exactions nazies. Il se plait à opposer le sang-froid et la détermination de l'Allemand rescapé sur ce canot aux comportements confus des autres rescapés, victimes de leurs conventions sociales et de leur égoïsme. Tour à tour ironique et tragique, le film est parfois ambigu et le réalisateur y laisse éclater des vérités ; il rappelle notamment que n'importe qui peut devenir un criminel en puissance et que la distance qui sépare l'innocence du crime est plus étroite qu'on ne croit.
Le film parvient ainsi à dépeindre la guerre sans symbolisme exagéré, mais il fut taxé de film de propagande, la critique américaine reprocha à Hitchcock d'avoir montré un nazi bon marin, il divisa et provoqua une controverse car certains le considéraient comme un film patriotique qui au final sera un échec, de fait, Hitchcock ne put faire un second film avec la Fox. Il ne fut présenté en France qu'en 1956 et divisa aussi la critique, malgré une interprétation remarquable. C'est sans doute pour ça qu'il reste sous-estimé et régulièrement oublié dans la filmo d'Hitchcock, il mérite donc d'être redécouvert, c'est ce que j'ai fait récemment car j'avais longtemps mésestimé ce film, et j'en suis ressorti au final très satisfait.
A noter un petit détail rigolo : pour son cameo habituel, le Maître trouva une astuce, il s'agit d'une des apparitions d'Hitchcock les plus surprenantes, on le voit en silhouette sur un journal que tient William Bendix, dans une publicité vantant les mérites d'une cure d'amaigrissement, avec 2 photos "avant" et "après" ; c'est d'autant plus cocasse que Hitchcock suivait vraiment un régime sévère à l'époque pour perdre 50 kg.