Sur la pointe de mes pieds, je claudique difficilement dans mes escaliers en bois tentant vainement de ne pas faire craquer la marche sous mon poids pour ne pas réveiller mes parents qui dorment à l’étage. Ce que d’aucun appellerait la grâce, je n’en ai cure. Ou plutôt, c’est elle qui en a cure de moi, ne m’offrant aucune de ses qualités. Mes parents m’ont doté de rebondisseurs sous la voûte plantaire, ce qui fait de moi un coureur de fond, un de ses hommes qui n’est pas ancré dans le sol, qui le survole et l’embrasse prestement pour mieux le quitter. Quant à Lil Buck, car il est plus question de lui que de moi avec ce documentaire et cette critique, ce gamin qui a découvert le jookin’ a l’âge de 12 ans, il griffe, glisse, vole, tire, attaque, wave, poppe…
Pour le grand public, la découverte de Lil’ Buck date de 2014, lorsqu’une vidéo de lui dansant sur Le Lac des cygnes de Tchaïkovski sur les cordes mélancoliques du violoncelliste Yo-Yo Ma est mise en ligne. Présenté au Champs-Elysées Film Festival 2020, c’est à partir du 12 août que le film sera découvert grâce à Sophie Dulac Distribution.
Dans ce documentaire franco-américain réalisé par Louis Wallecan, la danse donne une forme d’élévation et de virtuosité telles des effluves artistiques s’échappant des traînées bitumeuses du quartier de Memphis. De cette potion goudronneuse où la réalité sociologique, politique et économique est relativement difficile, en atteste la vétusté des infrastructures et la différence corporelle de cet ancien propriétaire de club atteint d’obésité en rapport à celle des jeunes plumes, émane des Frankenstein qui font de leur corps, les armes de leur lutte. Jouant d’images glanées à droite et à gauche, des images d’archives qu’il allie avec ses propres images, Louis Wallecan utilise des plans larges pour retranscrire l’entièreté des mouvements corporels permettant au spectateur de voir l’environnement dans lequel la danse se produit et s’ancre dans ce décor urbain naturel. On suit, des parking aux salles de spectacles classiques, Lil Buck qui défie la gravité en articulant deux styles très différents jusqu’à s’imposer comme une référence pour des artistes comme Yo-Yo Ma, Spike Jonze ou encore Madonna mais aussi et surtout pour les gamins de son quartier qu’il entraîne avec le même optimisme qu’il le fait quand il pratique son art. Symbole de cette résilience artistique, Lil Buck : Real Swan est un documentaire qui enlace l’optimisme de ces protagonistes en laissant au spectateur le soin de s’épanouir à leurs côtés.
Critique imagée sur : https://lestylodetoto.wordpress.com/2020/07/28/lil-buck-real-swan/