Abraham Lincoln, chasseur de cons fédérés
Spielberg, il y a ceux qui l’aiment et ceux qui le détestent. Il y a ceux qui le descendent, et ceux qui le défendent. Personnellement je n’ai rien contre lui malgré l’empâtement artistique dans lequel, à l’instar de pas mal de ses collègues issus du nouvel Hollywood, il semble tranquillement s’installer au fil des années. De toutes façon il n’a plus rien à prouver, ayant brassé à peu près tout ce qu’il y avait à brasser en terme de reconnaissance, que ce se soit du côté de l’Entertainment ou de l’académique.
Et pis je ne pourrai jamais totalement lui en vouloir, ne serait ce que parce qu’animé par cet élan nostalgique si caractéristique de ma personne, il me semblerait un peu contre nature de m’en prendre avec méchanceté à une figure si familière de mon Paysage Audiovisuel Fané.
Le problème c’est qu’il faut tout de même faire preuve d’un peu d’honnêteté ; Lincoln c’est bien beau, c’est bien grand, mais c’est un peu chiant.
Non pas que l’histoire ne recèle pas son lot d’importance, ou de grandeur, mais l’Histoire c’est avant tout —ou après tout— une succession d’évènements et de faits bien réels. Je ne discute pas de la véracité historique là, je discute de son traitement dans le film. (De toute façon je suivais pas grand chose des cours de civilisation à la fac dès lors qu’on sortait du royaume uni, en crétin que j’étais). Ce que je veux dire c'est que les faits réels et les détails de la véracité quotidienne des coulisses du pouvoir c'est pas forcément toujours captivant.
Lincoln relate les faits avec pas mal de précision, anecdotiques ou cruciaux, et bénéficie d’une reconstitution formelle irréprochable —vu le pognon ça me semble le minimum. D’ailleurs Spielberg réussi assez remarquablement à s’affranchir des limites spatiales de ses décors pour leur conférer une aura tantôt pleine de vacuité existentielle (solitude, poids décisionnaire), tantôt pleine d’asphyxie émotionnelle (scènes de couple, échanges houleux) sans oublier de composer ses plans avec un savoir faire qui n’est plus à prouver, quand ce n’est pas tout simplement avec une grâce rare.
Mais là où le bât blesse, c’est qu’à trop vouloir se montrer pointilleux —académique ?, Spielberg oublie de soigner le rythme et la lisibilité de son récit, noyant le spectateur dans un flot de paroles et une succession de scènes avec la régularité mécanique d’une machine à capsuler. Car oui le film est bavard, trop bavard même, et concrètement les évènements s’enchainent et ne décollent paradoxalement pas à mesure que l’avancée de l’Histoire se déroule devant nos yeux. Il manque un peu de cette matière émotionnelle dont le Steven a su pourtant si souvent faire preuve auparavant. Rien de lyrique donc, rien qui n’emporte l’âme ou fait se dresser les poils sur les avants bras; ce qui est tout de même la moindre des choses auxquelles on était en droit de s’attendre face aux enjeux de civilisation, humains et idéologiques qui nous sont présentés.
Du côté de l’interprétation je dois bien avouer que Day Lewis envoie du pâté, et ça me coûte de le dire, moi qui porte habituellement en horreur les prestations putassières à Oscar, je m’incline tant l’acteur disparaît derrière le personnage (historique). Je regrette cependant le gimmick agaçant consistant quelques fois à le réduire en un raconteur de blagounettes lourd comme un papy gâteux. Sally Field fait encore office de personnage féminin sacrifiée à l’homme de sa vie, avec talent à défaut de surprise. Gordon Levitt oublié, Tommy Lee s’en sort mieux que ces derniers temps ; il n’a donc pas été empaillé contrairement à ce que je pensais après avoir vu MIB 3, ça me rassure. Et dans l’ensemble tout le monde porte la postiche à merveille.
Reste que Lincoln convainc plus par ses qualités formelles que narratives. Quasi documentaire et froid par moments, intimiste par touches furtives, le récit manque le coche de l’émotion portée par ses thèmes et thématiques de fond et jamais ne parvient à décoller faute de trop de lourdeur et de manque d’aération du propos.
Et puis un film de démocrate trop conservateur ça s'appelle pas un comble?