Chanter la fiévreuse joie d'une découverte indé

Le jubilatoire Waterboys (Yaguchi Shinobu, 2001) avait ouvert la voie à un genre de film mettant en scène la marche d’un groupe de lycéens (ou lycéennes) lambda vers l’épanouissement à travers une activité sportive ou artistique. Qu’y a-t-il de plus efficace que ces énergiques récits de dépassement de soi aux côtés des autres, teintés d’une mélancolie qui touchera tous ceux derrière qui le lycée est déjà loin ? Cependant, le courant a charrié un bon nombre d’ersatz commerciaux neuneus (Swing Girls en tête), et il faut faire le tri. Linda Linda Linda, modeste histoire de rock, de filles et de fin d’adolescence portée par l'éclatante et coréenne Bae Doo-na, enterre la concurrence.


Kei, Kyôko et Nozomi sont bien embêtées : alors que le festival de rock du lycée approche, la guitariste de leur groupe s’est blessée à la main, et la chanteuse, leader du groupe avec Kei, a quitté la formation suite à une dispute avec cette dernière. Mais pas question d’annuler : il suffit pour Kei de se mettre à la guitare, et aux filles de se trouver une nouvelle chanteuse… et des nouvelles chansons. Leur vient alors l’idée de reprendre le tube Linda Linda, des Blue Hearts, groupe de punk-rock nippon des 80’s. Et vient alors à elles Song, lycéenne coréenne en échange linguistique, qui n’a jamais chanté de sa vie. Mais bon, quand faut y aller…


"Shiina Ringo ?" "Trop dur." "Puffy ?" "… c’est une blague ?"


Connaître les références du film de Yamashita Nobuhiro, et surtout la chanson à laquelle le titre fait référence, n’est pas nécessaire à l’appréciation démesurée de cette belle histoire à la fois tout à fait simple, linéaire, abordable, et subtilement écrite. Le film étant un promoteur idéal du cinéma jeune japonais à l’étranger (a fortiori puisqu’il met en scène deux nationalités différentes), on peut même dire que connaître ces références est un plus – bien que le film soit japonais. Pourtant, à chaque fois que les jeunes héroïnes parleront de la chanson Linda Linda, énorme tube du groupe de punk-rock nippon Blue Hearts, sorti en 1995, leurs camarades esquisseront un sourire d’admiration… si aucun problème ne se pose pour le néophyte étranger, c’est que Linda Linda Linda est un film très bien fait : à ce moment là du récit, on aura déjà assisté aux répétitions de ladite chanson. Et comme chacun le sait, le punk rock est ce qu’il y a de plus simple à chanter, la plupart de ses apôtres (The Clash, The Jam) chantant comme des casseroles. Plutôt que de faire l’esthète, le public exulte, s’agite.


Quand on fait référence au génial Okuda Tamio et son groupe Unicorn, le personnage de Kei répond "comment vous connaissez ça ?". Warning : Linda Linda Linda, jusque dans son titre, et les posters de Led Zeppelin recouvrant les murs de sa salle de répétitions, n’est "que" un film rock n’ roll. Il n’a la prétention ni d’être SUR le rock n’ roll, ni POUR le rock n’ roll, préférant observer ses jeunes héroïnes, tournant ses objectifs vers quelque chose de moins pompeusement symbolique. On vous l’a dit, Linda Linda Linda est un film modeste.


Naturalisme folk, proche de ce que donne le mariage heureux d’une Sofia Coppola à Tôkyô et de Air en studio – pas Empire Records, quoi. Le "bon son" qui introduit le titre, très rock n’ roll, pose les bases du film, accompagne dans un travelling fluide une nipponne à courtes pattes (la mimi Maeda Aki, Noriko de Battle Royale) trottinant dans les couloirs du lycée, et l’air à la guitare, aérien, parle pour elle. On ne l’a pas reconnu, mais on convient de la qualité : c’est l’ancien Smashing Pumpkin James Iha qui a composé la bande originale.


Il s’agit donc bien là de rock, garanti sur facture. Concentré sur l’objectif seul de ses héroïnes, Linda Linda Linda met de côté toute référence à la pop-culture japonaise dont on aurait pu craindre un déluge djeunz formaté – pour dire, la seule référence notable est la présence de Pierre Taki, de Denki Groove, on applaudit bien fort. Pourquoi cette absence ? Parce que pas besoin de fioritures. Pour faire de Linda Linda Linda un succès, il suffisait d’être fidèle à l’esprit de la chanson des Blue Hearts. Pour cela, quel meilleur vecteur que la terrible Bae Doo-na, dans le rôle de Song, coréenne un peu lunatique dont les limitées connaissances en japonais réduisent la communication avec les autres filles du groupe à un minimum vital, dénué d’atermoiements psychologiques, bref, tout à fait punk ? La réponse qu’a l’actrice lorsque Kei lui demande d’intégrer le groupe illustre parfaitement l’exercice de comique free-lance dans lequel Yamashita a laissé s’amuser l’actrice. Et la scène du karaoké, à ce titre, est excellente, avec Bae Doo-na finissant par dégoter une chanson coréenne dans le répertoire…


Car il est dit plus haut que la Coréenne n’a jamais chanté de sa vie, mais il était important de préciser "professionnellement". Y a-t-il un seul Coréen, ou un seul Japonais qui n’a pas poussé la chansonnette dans les karaoké clubs de leur mélodieux pays ? Bae Doo-na, actrice menant intelligemment sa barque et bénéficiant ici du boom coréen qui a parcouru l’archipel nippon vers les années 2003-2004, prouvera à la fin du film que tout est possible dans ce domaine… en se passant bien des effets de scènes de la punk attitude.


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le 14 avr. 2015

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