Si l'on fait abstraction de La Grande Frousse en 1964 (La Cité de l'Indicible Peur), Litan : La Cité des Spectres Verts reste la seule incursion de Jean Pierre Mocky dans le domaine du cinéma fantastique. Lorsque j'avais eu l'occasion de lui demander pourquoi il m'avait répondu clairement " Ce genre de cinéma coûte cher à produire, est difficile à tourner et à la fin personne ne va le voir" . Et il n'avait pas tout à fait tort puisque malgré un grand prix de la critique à Avoriaz en 1982, Litan ne rencontra pas vraiment son public en salles (16443 entrées) pas plus que lors de son exploitation en VHS sous le titre de Litan : Les Voleurs de Visages. Pour la petite anecdote il semblerait (selon Jean Pierre Mocky) que lors de sa projection à Avoriaz deux membres du jury, John Boorman et Brian de Palma, auraient passés tout le film en ricanant et se moquant de ce qu'ils voyaient sur l'écran ce qui aurait provoqué de vives tensions avec d'autres membres du jury dont Georges Lautner qui en serait carrément même venu aux mains avec De Palma (??).
Litan nous plonge dans une petite ville brumeuse et montagnarde alors que les habitants célèbrent la fête traditionnelle de la saint Litan. Alertée par un rêve étrange durant lequel elle voit son compagnon géologue mourir, Nora (Marie José Nat) se lance à la recherche de son mari tandis que la ville semble doucement contaminée par une folie meurtrière.
Litan est un chouette petit film d'ambiance fantastique dans lequel le bizarre, l'étrange et le folie semble être devenus la norme. Du coup toutes les maladresses de mise en scène de Jean Pierre Mocky, tout comme ses acteurs au jeu approximatif finissent par se fondre dans le décor et participent pleinement à l'étrange univers de ce formidable village. Le film a été tourné à Annonay en Ardèche et ce petit village montagnard à l'ambiance si particulière que Jean Pierre Mocky nappe d'un brouillard inquiétant participe grandement à l'univers fantastique du film. On est pas très loin du folk-horror à l'américaine et cette étrange fête païenne permet à Jean Pierre Mocky d'installer un univers onirique étrange et fascinant dans lequel les enfants portent des masques de vieillards , les adultes des masques de sorcières, d'animaux et de monstres le tout au son d'un fascinant orchestre en manteaux rouge sang et masques lisses argentés qui semble rythmé la décadente sarabande. Même si j'aurais aimé que le scénario développe un peu plus cette fête avec son origine et ses coutumes, le fait de nous y plonger directement dès les premiers instants du film lui confère une aura de long cauchemar permanent. Jean Pierre Mocky soigne ses cadres et sa mise en scène pour donner cette étrange sensation d'onirisme étrange et cotonneux rempli de figues grotesques et impassibles. La dernière partie du film alors que la ville entière semble gangrénée par la folie et des figures impassibles de morts vivants est à ce titre une vraie réussite.
Là ou Litan : La Cité des Spectres Verts est bien moins convaincant c'est dans son écriture et la finalité de ce que le film nous raconte. Rien ne fera l'objet d'un développement particuliers dans Litan, pas plus son intrigue, que ses personnages ou l'univers de ce village et ses traditions il faudra donc se contenter de se plonger dans le film et d'y piocher ce que l'on a l'envie d'y voir. Jean Pierre Mocky (50 ans lors du tournage) se réserve le rôle du jeune premier ténébreux et bagarreur même si pour les scènes de castagne il est doublé par un cascadeur qui semble avoir abusé du café. Marie José Nat n'a pas grand chose à défendre en femme fragile qui passe son temps à essayer de fuir et trouver la protection de son mari. Quant à Nino Ferrer qui signe également la très bonne musique du film, il s'avère franchement charismatique à l'écran quand il ne dit rien et bien moins convaincant dès qu'il a une ligne de dialogue à jouer. Quant à l'histoire elle même, elle reste assez confuse avec ces spectres verts (bleus à l'écran) qui semblent prendre possession des corps sans que rien ne soit clairement expliciter dans le récit. Mais finalement rien n'est vraiment préjudiciable à l'ambiance générale du film comme si avec cet univers étrange, décalé et onirique Jean Pierre Mocky avait tiré une carte joker qui ferait tout passer comme une lettre à la poste. Le phrasé étrange et mécanique des acteurs , les approximations de l'histoire, l'aspect grotesque de certains moments, le côté vaporeux de l'intrigue, tout qui serait insupportable ailleurs devient presque logique dans l'univers de Litan. Malheureusement même dans ce contexte là, le film peine à totalement nous embarquer faute d'une intrigue solide et d'enjeux dramatiques clairement posés.
Hué par John Boorman, moqué par Brian de Palma, aimé par Steven Spielberg (enfin selon Mocky) Litan : La Cité des Spectres Verts reste une curiosité et un petit film certes étrange et bancal mais pas désagréable du tout.