On ne peut que saluer le projet : brocarder certaines formes d'étroitesse de vue. Evidemment, la société américaine se prête admirablement à ce propos, elle qui cultive une forme de bonne conscience tapageuse reposant uniquement sur soit une forme de naïveté soit de la pure malhonnêteté intellectuelle. Surtout quand il s'agit de morale. Les bonnes âmes ne rechignent jamais à juger sévèrement leurs contemporains, sans chercher vraiment ce qui, chez elles, pourraient les rapprocher des comportements qu'elles condamnent. Ici, une jeune femme moins bornée que les autres est à la peine quand il s'agit d'élever sa petite fille pénible ou de supporter les cancans des autres mères de son quartier. D'autant que son mari a tout du sombre crétin : sa réussite matérielle éclipse sa fragilité psychologique et son égoïsme. Bref, pas de quoi rire dans cette vie de desperate housewife comme le rêve américain essaie de nous la vendre : belle maison, bonne société, succès à tous les étages et vide existentiel épouvantable. Surgit alors le spécimen rare : l'homme au foyer. Un physique de surfeur, un petit garçon en poussette, regard à la Kevin Costner : l'aréopage féminin fait la culbute. Mais c'est le vilain petit canard qui va remporter la palme (métaphore filée, au passage...). Marrant d'ailleurs comme on tente de nous vendre Kate Winslet comme la tocarde de service, ni particulièrement brillante ni franchement jolie. La bonne rigolade. En face, il a fallu dégainer une rivale ravageuse : Jennifer Connelly, en reine des glaces au physique scandaleusement parfait. Tout ça pour dire, comme le proclame son mari infidèle, qu'il n'y a pas que les apparences qui comptent. Franchement... D'autant que le quartier est mis sens dessus dessous par l'arrivée d'un pauvre type fraîchement relâché après une condamnation pour pédophilie. Alors là, curieusement, le physique compte : malingre, presque contrefait, chauve, le prédateur sur le point de devenir une proie lui-même est une vraie caricature de pervers à l'américaine. Ce pays où "pervert" est la plus grosse insulte qui soit. Ca ne défriserait pas une personnalité française parvenue au sommet de sa pyramide professionnelle avec deux familles légitimes simultanées, des fréquentations dans le milieu du X ou des millions de photos illégales dans son disque dur... Nous, ces types-là, on vote pour ou on achète des tickets de cinéma pour leur garantir un énième César à la fin de l'année. Par contre, dans les banlieues chics américaines, ils s'exposent à la vindicte de citoyens élevés dans la tradition encore frémissante du lynchage. La meute, chez eux, ça veut encore dire quelque chose. D'où la scène très réussie de la piscine, digne des Dents de la mer, quand le gynécée se rend compte que le délinquant partage la même eau que ses enfants. Le scénario s'amuse à déconstruire petit à petit les apparences de l'irréprochabilité de ces bons citoyens bien sous tout rapport. Qu'ils succombent eux-mêmes à quelques manies sexuelles vaguement déviantes, s'adonnent aux commérages, persécutent les brebis galeuses pour oublier leurs propres failles ou, plus simplement, collaborent activement à la perpétuation des injustices par leur silence ou leur réprobation de toute tentative d'émancipation, ils en prennent plein leur grade. C'est équitable, mais est-ce que pour autant ça rend le film intéressant ? Pas vraiment. Malgré ces bonnes intentions et une réalisation tout à fait honorable, je dois bien confesser que je me suis copieusement ennuyée. Il finit bien par se passer des choses, certes, mais l'exploitation éhontée de la liaison entre les deux protagonistes, à la Fièvre au corps, m'a bien démotivée en cours de route. On aurait compris sans toute cette complaisance. Mais bon, j'imagine qu'outre-Atlantique, il faut ça pour que la démonstration soit véritablement efficace. Ca a bâillé sévère dans mon salon. Heureusement, ça a le bon goût de finir en queue de poisson. Après tout ce déballage de bonnes intentions, je m'attendais à un "happy end" transgressif, où les deux bourgeois planteraient là leurs situations enviables avec un beau bras d'honneur. Mais non, la conclusion est bien plus pessimiste que ça, et c'est heureux, finalement, au moins en termes de narration. Je m'interroge encore sur la pertinence de la voix off, qui offre un contrepoint bienvenu mais apparaît sporadiquement dans des moments où rien ne le justifie vraiment.