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Un peu comme l’animation ou encore le noir et blanc, pour moi, le documentaire n’est pas réellement un genre, mais un médium. On ne réfléchit pas la réalisation d’un documentaire comme n’importe quelle autre œuvre cinématographique, à commencer par la base de ce médium, soit, l’impasse de la fiction. Quand on regarde un documentaire, en tant que spectateur, je considère que l’image que je regarde provient de faits réels, détournés dans leur neutralité par le regard du réalisateur, mais issues du monde qui nous entoure sans artifice autre que le point de vue et la forme adopté. D’où l’on peut s’amuser, avec la notion de documenteur, reprenant les codes plus ou moins stéréotypés du documentaire pour jouer avec la suspension d’incrédulité du spectateur alors qu’on présente une (plus ou moins) pure fiction. Or, si le résultat est ici homogène, présentant un parfait mélange entre artifice et réalité, qu’en serait-il d’une œuvre hétérogène, où la frontière entre fiction et vérité existe, est assumée, mais empêche le mélange de ces deux médiums. Un peu comme un Qui veut la peau de Roger Rabbit, qui assume autant la distance que la complémentarité d’acteurs réels que de personnages animés, Mona Achache propose avec Little Girl Blue, un voyage à la limite de l’expérimental où plus que de brouiller la frontière entre fiction et documentaire, se décide de jouer avec ces deux bases.



Je vais essayer de faire court avec ce Little Girl Blue, déjà car j’aimerai me préserver du temps de sommeil, mais surtout car c’est le genre d’expérience sur lequel il me paraît difficile de mettre suffisamment de mots pour caractériser l’émotion dans laquelle j’étais plongé. Des termes un peu galvaudés mais qui me paraissent justes autant dans le dispositif narratif que de mise en scène, sur lesquels je me dois d’y attribuer autant de bons que de mauvais points. En réalité pour moi, le principal problème de Little Girl Blue, c’est qu’il dévoile trop vite les cartes qu’il a en main, autant par rapport au « high-concept » présenté que les tenants et aboutissants de ce portrait de femme. A vrai dire si la réalisatrice arrive à renouveler ou du moins offrir une gradation à ses idées de mise en scène, sa manière de narrer l’enquête et la vie de sa mère décédée manque pour moi clairement d’ampleur, avançant trop strictement en ligne droite. Si les émotions sont présentes tout du long, Mona Achache n’arrive selon moi pas suffisamment a retranscrire l’ampleur dramaturgique du récit qu’elle met en scène, narré pour ma part avec trop d’attendus sans la singularité promise au départ. A vrai dire la plus grande réussite du procédé narratif de Mona Achache, c’est le sentiment d’enquête se résolvant en quasi temps réel. Passé l’introduction où la réalisatrice met en scène la découverte des écrits, photos et enregistrements concernant sa mère, et la rencontre avec Marion Cotillard, elle exploite ces archives presque trop intimes afin de comprendre le pourquoi. Pourquoi sa mère s’est-elle suicidée ? Pourquoi cachait-elle tous ses démons ? Comment est-elle tombée dans cette spirale ? Est-on condamné à répéter les erreurs de nos parents ? Toutes ces questions que se pose la réalisatrice deviennent un mystère qui donnent du poids au portrait de cette mère et femme défunte, mais surtout aux fortes émotions qui traversent little girl blue.


Et justement les fortes émotions c’est ce que propose avant tout ce film, qui bien loin de simplement exposer l’intime d’une personne, réussit à la mettre en scène de manière universelle. Pour ce faire, Mona Achache dispose de ses talents de metteuse en scène, qu’elle utilise afin de donner un poids fictionnel sans pour autant brouiller la limite avec le documentaire. Dans un appartement, elle aménage la décoration afin de littéralement ressentir le poids et l’omniprésence de ces photos, lettres et donc du deuil. Le tout disposé avec minutie, histoire de créer des images marquantes, mais surtout donner une forme purement fictionnelle qui renforce le propos et notre empathie face au portrait de femme que se met à filmer Mona Achache. Cela va jusqu’à des reconstitutions de lieux et d’espaces, dont l’aspect fictif, toc, est totalement assumé, jusqu’à l’utilisation d’un projecteur, qui ravive littéralement par le cinéma les souvenirs et la vie de Carole Achache. Plus que de simplement créer des moments impactants ou de la grande mise en scène, ces instants purement fictionnels sont une superbe porte d’entrée dans l’univers mental de cette femme, univers qui peut être tordu, explosé, déconstruit, bref, changé par les émotions qui sont reconstruites. Et justement c’est pas ce biais qu’intervient Marion Cotillard, dont on peu tout et rien dire, mais qui prouve selon moi avec ce film son potentiel de grande actrice. Ici, elle incarne littéralement la mère de la réalisatrice, et l’une des première scène vise à filmer l’interaction réelle d’elle enfilant pour la première fois le costume, l’âme de la défunte. C’est sûrement le point qui brouille le plus la limite entre fiction et documentaire, car s’il s’agit bien d’une performance, et que l’actrice décrit dans le film comme n’ayant « jamais fait un truc aussi dur », elle vient alors créer une nouvelle porte d’entrée comme l’incarnation fictive de cette figure disparue. Pourtant tout son travail minutieux, et dont on voit l’avancée petit à petit a pour but de nous montrer son évolution par rapport à sa manière de percevoir son rôle, jusqu’à un quasi détachement de la réalité, dans une scène d’engueulade complètement improvisée mais qui fait froid dans le dos. Le film finit même presque par poser des questions sur Marion Cotillard, son rapport au métier d’actrice, le métier en question, mais surtout notre rapport à la fiction et nos expériences vécues. Même si le film n’est pas le plus subtil dans ses émotions, le cocktail qui en ressort c’est un voyage dans l’intime qui prend une dose d’universalité grâce à son dispositif millimétré, peut-être un peu redondant, mais qui renforce une narration moins aboutie.



Little Girl Blue est le fruit d’un deuil intense qui a été transmit à une caméra tout aussi furieuse par rapport à ses émotions par moments dévastatrices et le propos qui est mit en place par Mona Achache. Si la narration est trop classique et prévisible dans son déroulé, elle est renforcée par un soin indéniable apporté à la mise en scène et aux idées purement stylistiques pour porter les thèmes et surtout les émotions qui transpirent de ce long-métrage hybride, enfermant ses techniciens, acteurs et artistes pour mieux capter l’obsession que figure la mort d’un proche.

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le 18 nov. 2023

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