Voyage au bout de la télé-réalité
Genre : Roulette russe nanarde
Télé-réalité. Bouh ! Pas bien ! Méchant ! Dangereux ! C'est en substance le message bas du front de Live!, de Bill Guttentag. Le film prend la forme d'un faux documentaire (il faudra bientôt arrêter avec ça) sur une productrice opportuniste, incarnée par Eva Mendes. Les audiences de sa chaîne sont en chute libre. Elle décide donc de monter une émission dans laquelle six candidats se passeront un revolver chargé d'une seule balle.
La seule qualité de Live!, et elle est de taille, est de recréer la mise en scène et le suspense d'un véritable show de télé-réalité, avec portraits de candidats ultra-clichés (très réussis) où le processus d'identification tourne à plein régime. Le défaut engendré, c'est que Bill Guttentag reproduit à l'identique ce qu'il s'évertue à dénoncer.
Autant Eva Mendes peut paraître bonne quand elle apparaît peu à l'écran (La Nuit nous appartient, Bad Lieutenant : Escale à La Nouvelle-Orléans), autant sa performance d'actrice dans Live! ne tient pas la distance. C'est fatigant de la voir sur tous les plans et certaines scènes ne sont pas franchement bien jouées. Je vais lui laisser le bénéfice du doute. Live! est un faux documentaire. Dans la réalité, les gens ne sont pas naturels devant la caméra : soit ils perdent leurs moyens, soit ils cabotinent. On va dire que les acteurs interprètent ici le rôle de personnes mal à l'aise à cause du caméscope du faux documentariste braqué en permanence sur elles.
Une fois l'idée révolutionnaire de la roulette russe trouvée, il va falloir surmonter les obstacles. En effet, l'avocat de la chaîne n'est pas vraiment chaud. Ce sale réactionnaire s'oppose à ce qu'on se tue à la télévision. Le juriste résiste un peu (mais pas trop), Eva Mendes réussit à le faire plier à coups d'arguments moyenâgeux et en lui faisant miroiter sa gloire personnelle. Il sera désormais connu comme l'avocat avant-gardiste qui aura convaincu le CSA américain du bien-fondé de laisser des gens se faire péter le caisson en direct.
On assiste ensuite à une plaidoirie nanarde au cours de laquelle le type arrive à retourner les sages du CSA en deux temps trois mouvements avec un argument choc : se flinguer à l'antenne relève de la liberté d'expression, et les Etats-Unis d'Amérique ne peuvent qu'en sortir grandis. Pour l'aspect rhétorique, Bill Guttentag (également responsable du scénario) et ses acolytes souhaiteront en rester là.
SPOILER ALERT !!!
Après la lecture de ces paragraphes, le film n'aura plus aucun intérêt. Je n'aime pas faire ça d'habitude, mais là j'ai besoin de le spoiler pour expliquer en quoi c'est de la merde. J'invite donc ceux qui n'ont pas vu Live! et qui veulent profiter du suspense de fin (car il y en a, même beaucoup) à arrêter la lecture ici.
Silence ! On tourne. A la suite d'un casting digne des meilleurs télé-crochets, six candidats s'affrontent :
Pablo : jeune fils d'immigrés mexicains qui revendique son homosexualité et qui aimerait aider sa famille
Rick : fermier, descendant d'immigrés suédois qui veut joindre les deux bouts
Abalone : ex-mannequin et performer
Brad : étudiant fan de sports extrêmes
Byron : jeune afro-américain, fils d'une famille bourgeoise qui rêve de devenir écrivain
Jewel : jeune femme qui veut percer à Hollywood
La roulette russe repose en principe sur le hasard. Ce jeu ne connaît pas les émotions et ne fait pas de distinction entre les individus qu'elle soit de sexe, d'origine, de religion, ou de capital sympathie. Avec une balle, on a une chance sur six d'y passer. Mais les scénaristes vont prendre leurs précautions. Ils vont émasculer le concept en route, histoire de ne pas trop choquer le spectateur et de ne surtout pas tomber dans l'amoralité. Le barillet de Live! va donc tourner en fonction de deux considérations : la morale et l'utilité sociale.
Bill Guttentag semble avoir peur des mauvaises interprétations qui pourraient être faites du dénouement. Pour des raisons évidentes, les scénaristes donnent une potion d'immunité à Byron et Pablo. S'ils meurent, en plus d'être con, le film devient limite raciste (pour Pablo, le film devient en plus homophobe). Jewel est jeune et belle. Si elle se tue, cela donne une bien piètre image du rêve américain. Il vaut mieux qu'elle gagne le magot. A la rigueur, la performer pourrait mourir. Artiste, elle n'est pas utile à la société, elle a un statut parasite. Mais elle a du cran et elle est mignonne : elle vivra.
Le duel final oppose donc Rick à Brad. Ouf ! Le sympathique fermier est sain et sauf, sa femme n'est pas éplorée et son fils malade a toujours un papa. Brad, ce sale jeune qui aime les sensations fortes, vient de se faire sauter la cervelle : c'est bien fait. En plus, il voulait utiliser le million de dollars pour ne pas travailler, voyager, et se bourrer la gueule avec ses potes (aux yeux des scénaristes, les motivations les moins légitimes). Le hasard fait décidément très bien les choses.
Eva Mendes, quant à elle, est prise de remords. Rassurez-vous, elle va être châtiée. Dans cette société où on laisse des gens se tuer en direct, le bras armé de Dieu va arriver de nulle part pour mettre une balle à la productrice et rétablir l'ordre moral (avec un soupçon de loi du Talion). Cet homme, nous expliquent les scénaristes (qui n'ont vraiment pas chômé), est un déséquilibré qui aurait commis ce geste sans motivation particulière. On est pratiquement en présence d'un cas de deus ex machina.
Malgré une fausse émission de télévision aussi prenante qu'une vraie, Live! est un prototype de film faux-cul. En dénaturant le hasard inhérent à la roulette russe, il véhicule (à son insu ?) une idéologie à la fois moralisatrice et utilitariste.