(1972. FR. : Liza. ITA. : La cagna.
Vu en VF (qui semble être la version originale), à la Cinémathèque Française, à l’occasion de la rétrospective dédiée à Marco Ferreri, dans une copie ayant besoin de restauration… (la même que sur le dvd de Studio Canal, qui est devenu assez rare)
(J’ai reçu un cadeau de Noël très original cette année : le livre de Gabriela Trujillo Marco Ferreri. Le cinéma ne sert à rien ainsi qu’une invitation à venir assister à une séance de Liza à la Cinémathèque Française, avec discussion après le film avec Bernard Benoliel et l’auteure puis dédicace ensuite. J’ai également pu croiser Jean-François Rauger ! Mieux qu’un bonus dvd ! A ma surprise, la salle était pleine et les rires ont fusé !)
Giorgio (Marcello Mastroianni) vit seul sur une île « déserte » (le film a été tourné sur les îles Lavezzi au large de la Corse) avec comme unique compagnon son chien Melampo. Peintre et dessinateur, il semble avoir quitté tout confort et famille. Un jour, Liza (Catherine Deneuve) « échoue » sur l’île, et s’éprend de Giorgio. Mais ce dernier ne s’entendant bien qu’avec son chien, Liza décide de prendre la place de Melampo…
Un an avant La grande bouffe et son scandale retentissant, Marco Ferreri réalisait son 12ème long-métrage La cagna (la chienne) sobrement intitulé Liza en France (façon de ne pas ternir l'image de Catherine Deneuve ?). Et ce fût de nouveau un échec critique et public comme ses précédentes réalisations (La semence de l’homme, Le harem). Il faut dire qu’après des débuts exemplaires en Espagne (avec notamment l’excellent La petite voiture en 1960) et une consécration à son retour en Italie avec Le lit conjugal et Le mari de la femme à barbe, le cinéaste transalpin se radicalise et rend de plus en plus absurdes ses comédies douces-amères teintées d’humour noir massacrant.
Pour cette réalisation à l’accent très français, « le cinéaste du mauvais goût » est assisté de Jean-Claude Carrière qui est chargé d’écrire le scénario, adapté de l’œuvre de Ennio Flaiano Melampo, qui racontait l’histoire d’une femme qui allait jusqu’à « assassiner » le chien de son amoureux…pour mieux prendre sa place ! Pas surprenant de retrouver Ferreri sur un sujet aussi bestial et provocateur et il s’en donne à cœur joie en nous dévoilant une Catherine Deneuve, magnifique et solaire, transformée en chienne léchant son maître Mastroianni, lui rapportant le bâton, le mordant … (oui Liza c’est un peu comme Didier, sauf que Deneuve ce n’est pas du tout Chabat !) Des scènes vraiment excellentes, absurdes, déstabilisantes à souhait et pas si misogynes que cela, le jeu et la manipulation entre les deux protagonistes étant partagés.
Les documentaires animaliers...
L’un des thèmes du film est évidemment la misanthropie chère à Ferreri. Pour Giorgio, il est impossible de s’isoler du monde, car il y a toujours quelque chose pour le faire revenir à la réalité : la sublime Liza, une troupe de légionnaires cherchant un déserteur, un ancien soldat allemand revenant sur place pour abattre les oliviers qu’il avait plantés durant la guerre (!?) ou bien son fils venu lui annoncer la tentative de suicide de sa femme (Corinne Marchand) à Paris. Son retour dans la capitale nous vaut une savoureuse scène avec un Piccoli complétement lunaire, entre le commentaire social et la plus affligeante banalité. On peut penser que les deux ont connu 1968 et y ont cru, mais alors que l’un vit isolé du monde par rejet de cette société, l’autre est au contraire devenu un petit bourgeois un peu snob et vicelard….
L’animalité et la bestialité des comportements humains était un sujet d’étude cher à Ferreri. Ainsi, on assiste à un moment à la diffusion d’un documentaire sur les criquets et leur mode de copulation…. Insecte solitaire par nature, il n’oublie pas pour autant de se reproduire et le commentateur évoque des « criquets communistes » ! D’ailleurs, selon une anecdote de Bernard Benoliel, Jean-Claude Carrière racontait que Ferreri et Mastroianni aimaient regarder des documentaires animaliers ensemble… main dans la main ! « On a déjà assez vu d’humains comme ça ! »
Il est intéressant de constater aussi la cohérence de la filmographie de l'italien. Ainsi, Giorgio nous fera songer au Glauco de Dillinger est mort, qui après sa fuite et une traversée en bateau aurait pu amerrir là. Notons aussi qu’à la fin du film, le couple meurt peu à peu de faim et que Mastroianni revêt un uniforme de pilote d’avion. Dans son film d’après, La grande bouffe, il sera un véritable pilote d’avion et au lieu de mourir de faim, les protagonistes décéderont à force de trop manger. Dernier clin d’œil enfin, lors de l’apparition de Michel Piccoli, ils traversent les Halles de Paris promis à la destruction. En 1974, dans Touche pas à la femme blanche, Ferreri tournera son drôle de western dans les Halles en pleine destruction…
Même s’il ne s’agit pas du meilleur film de son auteur (loin s’en faut), qu’il n’est pas toujours bien servi par ses seconds rôles et que la dernière partie s’étire un peu trop, on est une nouvelle fois pris au piège absurde et désabusé de Ferreri avec sa fin triste et fataliste. Un film à voir vraiment, ne serait-ce que pour admirer l’incandescente Catherine Deneuve se transformer en chienne docile de celui qui était son mari à la ville, Marcello Mastroianni.