Thomas Vinterberg se catapulte avec « Loin de la foule déchainé » à mille lieux du cinéma cru de son premier film encensé « Festen » respectueux du Dogme 95. Comme l’avait laissé deviner son précédent film « La Chasse » avec Madds Mikkelsen, il use maintenant pleinement des artifices esthétiques du cinéma, et démontre un sens du romanesque que l’on ne pouvait que soupçonner jusqu’alors. Le roman de Tomas Hardy, fleuron de la littérature anglaise, est un des premiers grands succès de son auteur et probablement un de ses plus optimistes, par ailleurs déjà adapté par Schlesinger en 1968. Il peut donc sembler étonnant au premier abord de voir Vinterberg, cet adorateur du scandale, s’attaquer à ce classique de la littérature. Mais bien vite, on se rend compte que les thèmes qui parcourent le roman sont ceux que l’on retrouvent dans ses films : tensions sociales et individus qui luttent contre leurs pulsions.
Dès les premières images du film, les amoureux des films romantiques adaptés d’œuvres littéraires comme « Orgueil et préjugés » seront comblés. Le film nous immerge dans la campagne anglaise période victorienne, dont la beauté contraste avec la misère paysanne de l’époque. On y découvre le berger Gabriel Oak (Matthias Schoenaerts), qui se voit éconduit après sa demande en mariage à sa voisine, Bathsheba (Carey Mulligan), qui ne considère pas le mariage comme le seul avenir d’une femme convenable. Suite à un terrible accident, Oak perd son indépendance, et parcourt la campagne du Wessex à la recherche d’un travail.
C’est alors qu’il prête par hasard main forte à des ouvriers agricoles pour éteindre un feu qui se déclare dans une riche propriété. Le propriétaire n’est autre que Bathsheba qui l’a hérité de son oncle, précipitant son ascension sociale. Femme resplendissante, vigoureuse et indépendante, elle est admirée de tous. Et notamment par le riche propriétaire voisin Monsieur Boldwood (Michael Sheen) dont elle refuse les avances. Mais agissant contre ses principes, elle tombe sous le charme du sergent Troy (Tom Sturridge) qui la séduit facilement par sa prestance et son charme. Elle se retrouve mariée à lui précipitamment, alors que ce dernier en aime une autre. La réapparition de son aimée va tout bouleverser.
Vinterberg sans aucun doute amoureux du roman, et de son personnage féminin aux aspirations d’une modernité confondante, vient à la sublimer dans chacun des plans dans lesquels elle apparaît, peut-être un peu trop pour rendre la représentation réaliste. Mais le souci de réalisme n’est pas ce qui préoccupe le réalisateur dans ce mélodrame, présenté comme un immense tableau de John Constable dans lequel tout vient à être plus prononcé comme pour souligner les émotions intérieures qui parcourent les protagonistes.
La nature est ici un véritable miroir de la solitude qui ronge les personnages, les englobant de sa beauté. Les comédiens quant à eux, incarnent sans démesure, ces amoureux qui luttent contre leurs pulsions. Carey Mulligan est ravissante en femme forte, et sublimée dans une scène de chant avec Michael Sheen qui est tout bonnement excellent dans son rôle. Le trio qu’ils forment avec Matthias Schoenaerts fonctionne à merveille, les deux hommes dégageant un charme complémentaire, créant à eux seul la tension amoureuse.
Malheureusement, même si le film est fort de ses personnages puissants, le réalisateur a du mal à s’accorder avec le choix pour le moins surprenant de Bathsheba lorsqu’elle s’éprend du sergent Troy. Il n’arrive pas à nous faire croire à son aveuglement soudain, comme le personnage n’arrive lui-même pas à admettre son erreur. Le personnage de Troy bien que nécessaire est dressé sans subtilité, et les ficelles pour ébranler l’harmonie mise en place sont bien trop grosses pour que l’on puisse y croire. Le talent de fin psychologue de Thomas Hardy ne se fait dès lors plus ressentir. On se force donc à poursuivre l’histoire et certaines séquences qui rythment cette intrigue riche manquant de naturel, alors que celles-ci devraient paraître spontanées, nous faisant deviner sans surprise où nous dirige un scénario qui tourne parfois au mièvre. La mise en scène ne faisant rien pour l’y en sortir.
Serti d’une esthétique appliquée et d’un scénario sans réelles surprises « Loin de la foule déchainée » n’en demeure pas moins un mélodrame terriblement efficace, grâce notamment à des acteurs convaincants. Carey Mulligan rejoint avec manière le rang des plus grands personnages romanesque du cinéma. Du beau travail, sans aucune prise de risque, qui manque d’une réelle vision d’auteur, laissant au spectateur plus d’une longueur d’avance. À cet exercice de premier de la classe pas désagréable, on préférera la copie nettement plus intéressante de « Les hauts de Hurlevent » d’Andrea Arnold.
Critique à lire sur le site CinéComÇa