Atypique parcours que celui de Thomas Vinterberg, qui le transporta de la contre-esthétique amorcée par le Dogme95 jusqu’au drame chirurgical que fut La Chasse – son œuvre a toujours pourtant poursuivi une véritable cohérence, thématique, bien entendue, mais aussi littéraire. 2015 signera en tout cas une nouvelle étape dans la filmographie du cinéaste danois avec ce deuxième projet anglophone, dix ans après le naufrage de It’s All About Love, en proposant l’adaptation du célèbre roman victorien de Thomas Hardy, Loin de la foule déchaînée.
Il s’agit peut-être même plus encore qu’une simple étape, car en proposant cette fois-ci une plastique rappelant fortement la grande époque du Technicolor, entre Autant en emporte le vent et Docteur Jivago, Vinterberg opère un virage artistique total : difficile de trouver des points communs entre Loin de la foule déchaînée et Festen. Le metteur en scène explique d’ailleurs ce choix par sa volonté d’explorer de nouvelles contrées cinématographiques. Et si telle était sa démarche, elle est accomplie : passer de Lars von Trier à James Ivory, c’est pour le moins radical.
Reste qu’au-delà d’observer un cinéaste trahir les propres règles qu’il avait lui-même mises en place il y a déjà vingt ans, Loin de la foule déchaînée ne présente qu’un intérêt limité. On sent bien la veine romanesque ambitionnée par Vinterberg, qui s’inspire ici beaucoup de David Lean : le souci de la reconstitution, le spectaculaire des décors, les jeux de couleurs qui font partie intégrante de la narration. Mais dans ces errements formels nouveaux, Vinterberg ne semble pas à sa place : l’esthétique est savoureuse mais l’ensemble est d’un classicisme regrettable, du Joe Wright avec un peu plus de talent et un peu moins d’argent, sans grandeur et sans aucune tentative de cinéma.
C’est presque un comble : la prison de Vinterberg pour son dernier long-métrage aura finalement été son académisme. De la part d’un réalisateur qui s’est longtemps revendiqué comme transgressif, c’est d’une douce ironie. Et c’est d’autant plus dommage que l’œuvre d’Hardy, et plus précisément Loin de la foule déchaînée, est un objet d’analyse sociologique passionnant, dont le caractère ouvertement féministe a beaucoup inspiré et ne demande qu’à être sublimé par celui ou celle qui aura le courage d’en reproduire l’incroyable portée : être en avance sur son temps.
Pas que le film soit irregardable, il est même une profonde déclaration d’amour au cinéma, attendrissante en plus d’être formellement parlant si dépendante de ses influences qu’elle en devient un prototype passionnant à décrypter. De la part d’un réalisateur comme Vinterberg, on était cependant en droit d’en attendre plus, d’espérer une adaptation plus audacieuse qui aurait dépassé son statut de reconstitution prévisible.
Le projet avait de quoi titiller la curiosité, mais son annonce n’en restera que la seule et unique surprise. Impossible de mettre de côté la très bonne direction d’acteurs et la précision du chef décorateur, mais de belles couleurs et de jolis costumes ne font pas un bon film. A réserver aux étudiants en littérature et aux amoureux du XIXème siècle, car il n’y a pas une once d’identité dans Loin de la foule déchaînée. Dans tous les cas, après ça, ce ne serait même plus étonnant de voir Vinterberg réaliser Iron Man 4.