Peut-on flageoler celui qui, sous le joug de la lecture encore fraîche d'un roman somptueux, se voit, après le visionnage de son disciple cinématographique, lui allouer un jugement purement analogique ?
Quoiqu'il en soit, ayant renoncé depuis longtemps à la pleine disposition de mon objectivité depuis que celle-ci fût largement compromise par une lecture ensorceleuse, cette « critique » s'apparentera à un vulgaire comparateur d'offres disposant des désagréments qui lui sont propre mais non sans, je l'espère, la luminescence d'un bien-fondé.
La frustration croissante que j'ai éprouvé lors du visionnage n'émane en réalité pas de la qualité du film, mais, plutôt, de l'analogie forcée avec son prédécesseur textuel qui lui fait cruellement défaut. Le film ne permet pas de rendre opérant tout l'impact du livre. En effet, trop d'éléments cruciaux ont été omis (que la censure assume ses fautes) et le format réduit imposé par le support cinématographique ne rend pas compte de l'atmosphère viscérale du livre ; un vice omniprésent qu'on ne sait détester réellement, pourfendant nos convictions les plus solidement enracinées. De même, l'état psychique des personnages, si savamment décrits par Humbert dans l'oeuvre originale, se voit amputé d'une partie de sa puissance évocatrice dû au choix contraint de la troisième personne, nous laissant ainsi en tête à tête avec des personnages affadis au possible, sans teinte ni nuance, vivant une relation presque conventionnelle plus au moins perturbée par un Quilty caricaturé.
Est également à souligner l'énorme faute du film. Lorsque Humbert Humbert retrouve Lolita 3 ans plus tard et lui confesse sa conviction finale de la voir retourner vivre avec lui, celle-ci manifeste un refus hésitant, semblant conditionné par le seul chaînon de sa situation familiale. Or, dans le livre, Lolita désapprouve catégoriquement la proposition que son beau-père lui fait allant jusqu'à préférer retourner avec Quilty, son ravisseur favori. Car, ce qui n'est malheureusement pas ou peu perceptible dans le film, est que Lolita, loin d'éprouver quelques sentiments passionnels pour Humbert, lui témoigne une léthargie profonde, une apathie figurative d'une jeune fille ébréchée par des années d'abus, loin des passions lascives de la jeunesse, vivant les débauches quotidiennes d'un vieux concupiscent.
Stipuler que reproduire est déjà trahir n'a jamais été plus vrai, mais il semble que le bâton n'est à brandir que sur les seules contraintes qu'imposent le cinéma et, que, malgré les blâmes d'une âme insatisfaite, ce film n'en reste pas sans qualité significative lui accordant le mérite d'avoir fait au mieux un exercice perdu d'avance.