I'm spartacus, you come to free the slave or something ?
Cette critique spoile tout le film (au moins c'est dit).
Adapté de l'oeuvre de Nabokov, qui lui-même a contribué au film, Lolita raconte une histoire étrange, une satire sociale, une farce dérangeante car tragique dans les faits mais aussi dans tout ce qui se cache derrière les images, farce qui a sans doute inspiré les Coen dans leur cinéma des décennies plus tard (même si eux poussent la satire beaucoup plus loin, et que ça n'a au fond rien à voir).
Farce car dans l'ensemble, cela raconte une histoire improbable d'un type, Humbert, qui épouse une femme car il est tombé fou amoureux de sa fille, Lolita, et qui ne vivra alors que pour elle et basera toute sa vie sur elle. Sauf qu'évidemment, ça ne s'arrête pas là, et ça dégénère.
La Farce se ressent surtout au moment où Humbert songe à tuer sa femme pour pouvoir vivre avec Lolita, et que finalement celle-ci meurt de la façon la plus conne du monde, dans une situation brillante d'ironie et de gros foutage de gueule. Kubrick se paie la tronche de ses personnages et de leur situation, et c'est une évidence.
Satire car comme dans tous Kubrick qui se respecte, on aborde de nombreux thèmes, on fait la critique de nombreuses choses plus ou moins subtilement. Ici on voit l'état des relations de couples de cette époque, avec un schéma dominant/dominé inversé (je dis ça par rapport à la mentalité de l'époque). On voit les effets de l'éducation maladroite d'une mère veuve qui en veut encore à sa fille pour ce qu'elle a pu faire quand elle avait un an, qui lui crie dessus sans arrêt, qui fera de Lolita cette adolescente provocatrice. On voit aussi la possessivité abusive paternelle/amoureuse qui interdit tout contact à sa fille/amante et qui lui insufflera alors ce désir de liberté dont elle aura finalement tant besoin. On voit les effets néfastes de la passion amoureuse, des fantasmes, des désirs. On voit aussi la perversion de cet homme épris de cette gamine juste à cause de son charme, et qui ne vivra que pour ça. Ou un film qui critique l'égoïsme plus particulièrement, tout en montrant la libération sexuelle d'une époque et le décalage d'autant plus accentué entre deux générations.
La sexualité est un thème ancré dans le film, visible par la simple affiche, mais qui pourtant n'est pas montrée directement dans l'oeuvre.
Tout est en sous-entendu, rien n'est explicité. Si Lolita s'est tapé Charlie au camp de vacances, et autres types des cours, ou si elle couche avec un dramaturge depuis des années, et surtout si elle a une relation avec son père adoptif, le personnage principal du film, cela n'est pas dit explicitement, mais c'est certain. On ne le mentionne que sur le ton de la confidence, du secret semi-avoué, de la faute qu'il faudrait cacher parce "qu'est-ce qu'on va penser de nous?", de la petite honte que l'on a en soi, qu'on aime finalement mais qu'on refuse de s'avouer véritablement. Personne ne s'embrasse dans ce film, jamais, on ne voit rien de plus au maximum que des bras autours de cous. Au final, tout cela nous pouvons nous l'imaginer. Peut-être ne se passe-t-il pas tout cela, et que l'on imagine juste. Car ces personnages entre eux, hors de ces moments que l'on ne voit pas, entretiennent une relation globalement "normale" (quand ils ne se hurlent pas dessus), et ils n'ont pas l'air d'amants (sauf à quelques endroits). Lolita n'aime pas Humbert, et ça se sent. Mais tout se voit avoué finalement à la fin, même si pas totalement... On pourrait interpréter ça encore autrement, au final.
On nous force à deviner ce qu'il se passe, à l'interpréter, mais on ne nous montre pas les choses, pas directement.
Ce thème de la rumeur revient à de nombreuses reprises, que ce soit à travers la peur des voisins et des colportages que directement évoqué par le personnage de Quilty.
C'est un peu tout ça qui est fascinant dans ce film.
Et c'est dérangeant, car dans cet amour que voue Humbert à Lolita, il y a ce sentiment de culpabilité qui pue à des kilomètres. Merde, c'est son père adoptif putain! Evidemment, oui, c'est dégueux, immonde, elle l'appelle "Dad" en plus. Ca dérange, ça heurte l'éthique, oui, c'est Kubrick quoi.
Ce qui dérange aussi, c'est cette passion poussée au possible qui brise toute règle de morale et qui fait aller jusqu'au meurtre. Dans une scène particulièrement jouissive, Humbert s'imagine en train de tuer sa femme avec un énorme plaisir. Ou encore tout simplement cette scène d'intro (réalisée d'une main de maître) où il tue Quilty. D'ailleurs, au début on s'imagine qu'il y a une raison tragique, et qu'il le fait par une raison juste. Mais au fil du film, on s'aperçoit qu'en réalité pas vraiment. Il est juste un peu fou, pas très net, fou amoureux, obsédée par Lolita et il doit trouver un fautif à son départ. Refusant d'admettre ses parts de faute, il fait tout retomber sur Quilty, qui lui aussi fut obsédé par Lolita (mais dans une moindre mesure).
La folie oui, thème récurrent dans la filmographie de Kubrick. La folie et la paranoïa. Et cela aussi se rajoute au coté dérangeant du film. Et attention, quand je dis dérangeant ce n'est pas comme le fait un Clockwork Orange, c'est dérangeant mais en subtilité, quand on lit entre les lignes (ou entre les images). Cette paranoïa se rajoute à tout ça. Humbert s'imagine un peu tout, il protège Lolita de tout et n'importe quoi, sans raison apparente, comme si le fait qu'elle vive pourrait lui nuire à elle. Le moindre élément, la moindre personne, il la voit comme un danger potentiel pour elle, ou un danger au fait qu'il la "possède". Dans sa tête elle est à lui, à lui seule, il fait tout pour elle, elle doit être tout pour lui, tout simplement. Cet égoïsme est un des thèmes principal du film, tous les personnages le sont, sauf Lolita à la limite qui se laisse bien faire quand même (pas de mauvais jeu de mot). Et cet égoïsme, cette exagération maladive dérange. Notamment dans la scène où il la perd, et qu'il se bat dans l'hopital sans raison (encore). C'est aussi le choc des générations qui fait ça, Lolita est provocatrice, crue et dans sa génération où se crée la liberté sexuelle, alors qu'Humbert lui est plus posé, et voit comme un crime le moindre rencard.
Il y a aussi tout ce qu'on ne le comprend pas, et qui est créé par le personnage de Quilty, ces actions que l'on n'est pas sûr de comment trop savoir interpréter, ces coups de téléphones en pleine nuit, cette voiture qui les suit, etc...
Un autre thème que l'on trouve est celui de la solitude, mais non pas comme dans The Shining, mais cette solitude que l'on a lorsque l'on vieillit et que la vie commence à être derrière soi. Du moins j'en ai eu l'impression.
Et tout ceci est brillamment mis en scène par le génie qu'est Kubrick. Les plans sont magnifiques, s'enchainant parfaitement, il n'y a rien à redire. La direction d'acteur est parfaite, les personnages (sauf peut être la mère des fois) sont toujours brillants de justesse. Dans ses crises de colère, Sue Lyon est effrayante.
La photographie est jolie, mais c'est pas la plus belle de Kubrick, loin de là. Pour l'ost je suis partagé, d'un côté il y a des musiques très belles, de l'autre des musiques plutôt communes pour des films de l'époque, et ça m'a surpris, car les ambiances sonores de Kubrick sont habituellement uniques. Pas ici.
Un très bon film pour résumer. Pas le meilleur de Kubrick, mais qui vaut le détour et qui apporte sa dose de réfléxion.
Tout ça pour dire ça, faut que j'apprenne à faire des critiques courtes.