Lolita ou le surnom de personnage fictif entré dans l’inconscient collectif et le langage commun. C’est dire la force du roman de Nabokov d’abord, du film de Kubrick ensuite. On le sait ce film n’est pas son chef-d’œuvre mais on n’y peut rien, on est tout de même englouti par le génie qui marque chaque plan par ce qu’on voit, ce qu’on entend ou ressent. Le tour de force de cette œuvre restera la capacité qu’il a eu ici de faire rentrer les spectateurs masculins dans la peau de James Mason.
Car oui, dès la première apparition de Lolita sur le gazon derrière la maison de sa mère, légère et court vêtue, le trouble immédiat que ressent James Mason est communicatif. Le malaise est alors immense, on sait que la beauté trouble mais a-t-on le droit moral d’être troublé par une beauté de seize ans seulement ? Où se situe alors la frontière entre une attitude normale et une attitude équivoque de dépendance à l’être désiré ?
A partir de ce moment, Kubrick met en scène la déchéance d’un homme, l’attitude infantile d’un mâle prêt à toutes les compromissions et tous les ridicules pour rester près de celle qu’il désire sans réellement l’aimer. Car le personnage de James Mason n’aime pas Lolita même s’il le croit. L’attitude de la jeune fille est au mieux ambiguë au pire exécrable. Souvent elle semble le manipuler, s’amuser de son trouble, parfois elle l’insulte et hurle après lui. De cet homme pathétique et tourné en ridicule, Kubrick arrive à nous faire avoir pitié. Mais une pitié sans compréhension, sans empathie, on est juste navré pour lui, par un désir et des émotions qu’il pense dissimuler alors qu’ils crèvent les yeux de chacun.
A coté d’eux, un Peter Sellers exceptionnel évolue comme une insaisissable pile électrique, son jeu favori consistant à s’amuser aux dépends des autres en les manipulant. La performance que livre l’acteur est mémorable de justesse et de drôlerie. Le seul bémol sera pour Sue Lyon qui, si elle joue très bien la jeune fille désirable, n’est pas crédible un instant à la fin du film. A ce moment, Lolita a quelques années de plus, est mariée et attend un enfant. Sue Lyon a, elle, toujours seize ans, comme au début du tournage. Franchement on n’y croit pas une seconde, elle a beau tenter d’avoir l’air plus âgée, plus mûre, les lunettes qu’elle porte ne le vieillissent pas du tout et on a toujours une enfant devant les yeux. Kubrick aurait été inspiré de se donner le temps de trouver la jeune fille plus âgée et ressemblant à Sue Lyon.
Malgré tout Lolita marque par son propos universel car, même s’il sont peu nombreux les hommes qui passeraient à l’acte, ils sont plus nombreux ceux qui, la désirant, voient en Lolita un moyen de repousser la mort et surtout, de sentir que les années traversées, l’expérience accumulée, peuvent donner l’aura, le prestige que beaucoup rêvent d’avoir. C’est cela le cinéma de Kubrick, un cinéma des faux-semblants et des apparences toujours trompeuses, même sa mort ne serait qu’une apparence.