Les plaisirs simples de Ken Loach
Un film de Ken Loach ... avec Eric Cantona. Juste en ayant vu l'affiche du film, le concept m'enchantait. C'était un peu comme la rencontre de deux mondes qui se tournaient le dos, qu'on n'imaginait jamais pouvoir concilier un jour. Et pourtant, le film est là. Il s'agit donc de savoir si cette rencontre au premier abord incongrue n'est qu'un effet d'annonce ou si le résultat cinématographique est vraiment au rendez-vous.
La première scène nous rassure tout de suite : nous sommes bien dans du Ken Loach. Eric Bishop, joué par Steve Evets, a l'air complètement perdu, il pleure, roulant comme un dératé dans sa voiture de postier, jusqu'à percuter quelque chose. Ecran noir, puis hôpital. Du Ken Loach tout craché. Le film ne commence pas du tout comme une comédie (il n'en sera d'ailleurs jamais une) : on voit un homme au fond du trou, qui vit seul avec ses deux adolescents difficiles, alors que sa deuxième ex-femme est en prison, et qu'il n'a plus parlé à sa première femme depuis plus de 20 ans.
Ken Loach nous plonge, comme à son habitude, dans l'univers d'un individu normal, qui vit ses tragédies de tous les jours. Cet individu est filmé sur son lieu de travail (ici, à la poste), dans sa petite maison de Manchester, en train de faire la cuisine pour ses deux ados, au bar avec des amis. Ici, plus encore que dans ses autres films, ce sont les conversations qui font la puissance : voilà un film où on parle, où des sujets modernes sont abordés, réfléchis, discutés, avec avis contradictoires.
Mais la grande surprise, ce qui fait que Looking for Eric est complètement à part dans la filmographie de Ken Loach, c'est Eric Cantona. Eric Bishop, fan de foot et particulièrement de Cantona, au fond du trou, après avoir parlé longuement à son poster grandeur nature de Cantona, voit apparaître devant lui le "King Eric", qui va le coacher pour le sortir de sa merde. Alors commence une partie plus légère, menée par les sentences aphoristiques et humoristiques d'un Cantona fidèle à lui-même, qui joue son propre rôle avec une conviction et un flegme très sympathique.
Il y a donc une remontée en puissance d'Eric Bishop. Il va s'améliorer, faire le point avec son passé, recréer un lien avec ses fils, et mettre fin au harcèlement de son plus grand fils par le gang auquel il avait appartenu. Un petit peu d'espoir dans la filmographie de Ken Loach, ça change.
Je trouve le film particulièrement réussi, déjà grâce à l'alchimie que j'ai décrite, puis grâce aux conversations, qui font mon bonheur, grâce à la touche d'humour apportée par Cantona, mais aussi grâce à la présence de personnages secondaires très drôles et très intéressants, joués par des vieux routiers de l'équipe de Loach. Deux scènes ont frappé mon attention : tout d'abord la scène dans laquelle, en plein milieu d'un repas de famille, la police entre dans la maison d'Eric pour fouiller, à la recherche du pistolet qui a servi à un meurtre, et que devait cacher le fils d'Eric, scène dans laquelle la violence d'une autorité qui ne comprend rien aux tragédies humaines vient briser une harmonie éphémère ; et la scène dans la villa du chef de gang, où viennent tous les amis d'Eric, tous avec un masque d'Eric Cantona, pour lui mettre la frousse et lui déconseiller d'emmerder à nouveau le fils d'Eric ; une belle scène d'amitié, un peu loufoque, très légère et très drôle malgré la gravité du sujet.
Ken Loach s'en tire donc très bien, avec un film sympathique, tout en rendant hommage au football qu'il adorait. On y sent une nostalgie d'un football populaire et intelligent, personnifié dans Cantona, à la sagesse simple et légère. Du plaisir.
