Après un très beau succès d’estime pour la réalisation de son premier film Bienvenue à Gattaca, Andrew Nicoll revient en 2005 en tant que réalisateur, ayant scénarisé entre temps The Truman Show et réalisé le moins connu S1m0ne, avec Lord of War : un film sur les trafiquants d’armes suivant l’évolution de l’un d’entre eux, un personnage fictif créé à partir de biographies réelles pour à la fois se présenter comme une fiction mais également presque comme un documentaire. C’est donc un film qui se veut assez subversif et traitant d’un sujet riche et mature, exactement ce que je peux adorer.
SCENARIO / NARRATION : ★★★★★★★★☆☆
Le film annonce très vite son sujet avec Nicolas Cage se présentant directement au spectateur et la philosophie du film avec lui, sur un tapis de douilles alors que commence la superbe introduction chantée en vue subjective retraçant la vie d’une balle, originale et cynique. C’est un cynisme qui caractérise très vite le personnage principal dans sa façon de commenter l’action que l’on voit à l’écran, comme il le fera tout au long du récit. Ça peut tout de même être exagéré par moment comme lorsqu’il compare la vente de sa première arme à la première fois qu’il a fait l’amour, ou quand il affirme que la violence est naturelle tant elle s’est répétée dans l’histoire…
Avant même d’être pris dans la frénésie de la vente d’armes il apparaît déjà comme assez caricatural, je pense que quelques tournures de phrases remaniées auraient suffi à corriger le problème pour que cette personnalité apparaisse de façon plus progressive et cohérente. Son irrésistible ascension, de petit trafiquant de quartier à l’un des plus importants à l’échelle mondiale, permet d’enchaîner les péripéties du récit tout en justifiant parfaitement l’aspect documentaire du film, repassant par les événements historiques de la fin du XXème siècle ayant grandement impacté ce type de trafic par les changements géopolitiques mondiaux.
C’est un angle d’approche évidemment très intéressant pour que l’on comprenne comment on en est arrivé à ce système au début du XXIème siècle qui sera quant à lui l’occasion d’aborder des thématiques particulièrement difficiles, comme les enfants soldats. J’aime assez comment l’utilisation du trafic d’armes comme sujet principal permet aussi d’élargir le propos à des thématiques plus globales comme l’exploitation du tiers monde aussi dénoncée que tolérée, l’opposition entre les préoccupations occidentales et ce qu’il se passe dans les régions les plus miséreuses, la séparation entre ce qui est légal et ce qui est moral…
La conclusion du récit est absolument parfaite pour à la fois offrir un twist à l’intrigue en fil rouge dont on se demande si elle va finalement aboutir à quelque-chose et pour amener un nouveau propos critique très osé et très pertinent pour offrir un tout autre degré de lecture au film en lui-même. Je dirais juste pour être tatillon que la toute dernière information laissée par le film aurait été encore mieux amenée si ça avait figuré dans le récit, plutôt que comme un message textuel juste avant le générique, mais les dernières scènes l’introduisent assez bien donc ce n’est pas si problématique.
Nicolas Cage ne s’en sort pas si mal que ça mais pour un personnage aussi central que celui de Yuri, je pense qu’il y avait mieux à faire, plus de charisme à dégager dans les scènes dures, plus d’élégance à montrer dans les scènes de négociation ou de séduction… Il en va de même pour Bridget Moynahan qui est tout à fait honnête mais ne crève pas l’écran autant que je le voudrais pour cette histoire d’amour que je trouve au final très superflue alors qu’elle est présentée comme très importante dans le récit, je ne pense pas que la faute soit entièrement celle de l’écriture. Heureusement, je trouve plus mon compte du côté des rôles secondaires.
Jared Leto est peut-être assez en retrait dans l’intrigue une bonne partie du temps, je trouve que c’est celui qui tire le plus son épingle du jeu, ses moments de folie sont très bien rendus par et il arrive également à faire transparaître l’humanité de son personnage à travers son regard porté sur des crimes abominables, si important dans un film au ton si cynique. Ethan Hawke apparaît vraiment investi autant que son personnage est censé l’être dans sa mission, c’est efficace mais encore une fois pour un rôle secondaire. Idem pour Ian Holm, qui réussit très bien à incarner cette vieille école contrastant avec les agissements de Yuri.
RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★☆☆☆
Pour un film dit indépendant, le budget de 50 millions de dollars est très impressionnant et pourtant vu le sujet traité et le matériel à acquérir pour le tournage, il aurait été difficile de faire avec moins et des compromis ont dû être trouvés. Par soucis d’authenticité, beaucoup d’armes, d’installations militaires… réelles ont été louées auprès d’armées gouvernementales et même auprès de trafiquants d’armes pour le film, et ça pouvait même avoir des raisons financières. Selon le réalisateur, ça revenait moins chère d’acheter des AK-47 en grande quantité que des répliques, ce qui paraît assez dingue.
Par contre, il y a beaucoup de pays différents qui sont censés être montrés, vraiment beaucoup et la plupart des scènes censées s’y dérouler ont été tournées en Afrique du Sud avec des acteurs locaux, ce qui a vite ses limites même si ça reste correct. On sent qu’il n’aurait pas fallu s’attarder trop dans toutes ces régions pour lesquelles on retrouve des clichés faciles permettant de les identifier rapidement. C’est vraiment dommage que toutes ces parties du globe aient dû être filmées rapidement et avec les moyens du bord, car quand la photographie s’attarde, elle fait merveille.
Si elle utilisera de façon très classique, mais efficace, l’image de la femme triste posant la tête contre une vitre trempée par la pluie en plein nuit, le personnage qui apparaît comme une silhouette noire dans un décor lumineux… quelques plans inspirés plus originaux serviront la narration avec discrétion et efficacité, comme lorsque la statue de Lénine apparaît couchée alors qu’on vient de dépecer la production soviétique pour la revendre au plus offrant, qu’une jetée en forme de croix apparaît en plan large alors qu’un personnage vient de mourir… Quant aux photographies qui sonnent un peu beaufs comme pour le salon de l’armement, elles sont un choix d’authenticité étant donné l’allure des photographies des magazines spécialisés sur la question.
Pour la petite anecdote, une partie de l’équipe technique était française, notamment le chef décorateur et les responsables de certains trucages numériques qui sont tout à fait réussis, ça fait toujours plaisir. Il y a aussi des idées de montage son très sympas et originales comme le bruit d’une détonation qui se fait progressivement remplacer par le bruit d’une caisse enregistreuse, concordant avec le fait que l’arme en question est observée au cours de ses tirs par Yuri qui pense alors à l’argent que ça lui rapporte en pagaille.
L’OST emprunte bien des morceaux cultes de tout horizon, une reprise de La vie en rose à une reprise d’Hallelujah en passant par La chevauchée des Valkyries, et bien d’autres styles musicaux très bien choisis et utilisés en fonction de l’époque durant laquelle les événements sont censés se dérouler, ce qu’ils doivent symboliser… alors qu’au contraire d’autres passages clefs du film se feront dans le silence absolu par pur choix artistique. Que ce soit sur le plan sonore ou visuel, Lord of War est donc très abouti et en corrélation avec son propos malgré ses limites budgétaires par rapport à un AAA.
CONCLUSION : ★★★★★★★☆☆☆
Les acteurs principaux peinent à crever l’écran autant que je le voudrais, certaines intrigues ne sont pas suffisamment bien écrites à mon goût, l’aspect globe-trotter ne marche pas à tous les coups… mais je me souviendrais surtout de Lord of War pour les sujets matures qu’il traite avec beaucoup d’efficacité et une approche cynique des plus singulières et osées tout en profitant d’un travail esthétique raffiné qui a de formidables fulgurances, un très bon film parmi d’autres signés Andrew Nicoll.