Le rhizome de la liberté
Il se passe quelque chose d’assez miraculeux dans le cinéma argentin. Après le morceau de bravoure Trenque Lauquen l’année dernière, le nouveau film de Rodrigo Moreno – pourtant non affilié au...
le 28 mars 2024
16 j'aime
Urbaine et sombre, presque carcérale lorsqu'elle décrit la banque, la scène d'ouverture est très prometteuse. Elle préfigure un thriller de braquage citadin, rappelle le meilleur de Mann (Michael), ou le cinéma de Cameron lorsqu'il se fait observateur obsessionnel des mécaniques, des rouages . Ici ce sont des portes blindées qui de referment lourdement dans des bruits sourds., d'imposantes serrures métalliques qui claquent afin permettent l'accès aux coffres.
Bien sûr, Morán, l'homme qui a accès au saint Graal, la salle des coffres, ressemble plus à un banquier qu'à Bob de Niro, oh, pas un Mozart de la finance au regard de hyène, mais un banquier ordinaire au regard rassurant. En homme ordinaire, Morán devient rapidement un braqueur sans éclat, dérobant 650 00 dollars de quoi s'assurer un petite rente à vie et offrir la même somme à son collègue Román, futur complice et double "annagramique". La plan étudié avec minutie: se faire arrêter, avouer le larcin, passer trois ans et demi à l'ombre (remise de peine comprise), pendant que Román gardera le magot.
Portant, passée la scène d'ouverture, l'on comprend rapidement que la première partie du film déjà, sera bien plus intimiste qu'un classique film de braquage. Le propos est plus intérieur, empreint des doutes de Román que l'on découvre perturbé, proche de l'effondrement, sur le point de rompre son lien avec son collègue de fortune. Mais de rupture il ne sera pas question ici, les liens entre les deux hommes vont au contraire se renforcer de manière inattendue, brisant la temporalité, consolidant l'idée de double, de l'effet miroir, une perte de repère initiée par la rencontre des deux hommes avec une nature magique (celle de la province de Cordoba argentin) mais également avec Norma, beauté bohème hypnotisante (prénom anagramme de Moran femme de Romàn).
La seconde partie de Los Delicuentes est plus poétique, évanescente, hymne à l'oisiveté, au gigantisme d'une nature sauvage, par opposition à la ville, cadrée de manière moins ample, ces rues oppressantes, terrain hostile pour Norma ivre de liberté. Le changement de cadre n'est pas total donc, le changement de ton non plus, ce qui est un peu déroutant et la seconde partie s'égare un peu parfois, même si le récit n'ennuie jamais du haut ou plutôt du long de ses trois heures imposantes. Au contraire nous sommes en présence d'une œuvre originale, élégante réflexion presque anarchiste sur la place de l'homme (libre?) dans nos sociétés capitalistes et qui restera probablement comme un belle découverte de cette année 2024.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films de 2024 et Ça s'est passé en 2024
Créée
le 30 mars 2024
Critique lue 1.3K fois
21 j'aime
2 commentaires
D'autres avis sur Los Delincuentes
Il se passe quelque chose d’assez miraculeux dans le cinéma argentin. Après le morceau de bravoure Trenque Lauquen l’année dernière, le nouveau film de Rodrigo Moreno – pourtant non affilié au...
le 28 mars 2024
16 j'aime
Entre polar et western. Un braquage sans arme ni violence. Une vie de salaire pour chacun des 3 complices. Ils n'ont pas la folie des grandeurs, ils veulent seulement vivre autrement, sortir de la...
Par
le 29 juin 2024
4 j'aime
Le cinéma argentin ne cesse d'étonner, notamment par sa liberté narrative, et si Los Delicuentes rappelle parfois Trenque Lauquen, il s'impose de manière originale et personnelle, nous excitant...
le 1 juil. 2023
4 j'aime
Du même critique
Jamais peut-être depuis 1938 (et le canular fabuleux d'Orson Welles, qui le temps d'une représentation radiophonique de "La guerre des mondes" sema la panique aux Etats-Unis), une illustration...
Par
le 15 avr. 2024
116 j'aime
23
Sorti en Italie au cœur de la vague d'indignation suscitée par l'assassinat de Giulia Cecchettin par son ancien petit ami (le 106ème féminicide en 2023 de l'autre côté des alpes), "C'è ancora...
Par
le 12 mars 2024
87 j'aime
3
Lorsqu’en 2015, George Miller, révolutionnait le film d’action (et le post-apo) avec le sidérant Fury road, certains y voyaient un acte ultime, un chant du cygne magnifique, une œuvre inégalable et...
Par
le 22 mai 2024
85 j'aime
14