Non, toute l'Amérique n'est pas couverte de gratte-ciels et tendues vers les cimes. Celle de ce film, celle de la Frontière, est plate comme une limande, ensoleillée mais désolée, comme à l'abandon. C'est aussi celle des déshérités, des intrus, des gens abandonnés à leur sort, qui n'ont pas le droit de se trouver là mais s'y installent quand même. Des migrants mexicains qui ne ressemblent pas au dealer de la Mara, tatoué jusqu'à l'estomac. Des mères avec leurs enfants, dont le mari est mort "de l'ampoule", expression que les petits mettront un film entier à décoder, et qui transforment leur colère et leur désespoir en voyage de la dernière chance. Le rêve américain prend le plus souvent l'allure défraichie d'un motel franchement miteux et de jobs ingrats, alors qu'il vend aux naïfs l'image des allées riantes d'un parc d'attraction régi par une souris géante. Il faut faire du bus, s'échiner, gagner trois fois rien, pendant que les enfants, ces fameux "lobos" (les loups du titre) ont la consigne de ne pas sortir de la chambre. Une véritable impasse dans laquelle se fourvoient des millions de personnes attirées par un mythe qui part en lambeaux. Heureusement, il y a les liens qui unissent les trois naufragés et l'imaginaire fertile de l'enfance, qu'on a eu la bonne idée d'animer sur les murs du motel. A part ça, tout est bien sombre. Et comme l'horizon ne fait que se dérober, le film avance à tâtons, comme son héroïne, sans lever le nez jamais ni donner à voir les citoyens de ce pays qui n'est plus de cocagne. Les Américains chantés par Trump sont hors champ; à côté d'eux, c'est le monde entier qui s'est donné rendez-vous dans ces villes sans épaisseur ni hauteur : des latino-américains, mais aussi des asiatiques, tous tendus vers le même objectif et tous un peu floués. Il y en a de tous les types, des vieux, des musclés, des obèses, des gamins, qui partagent tous le même but inatteignable : s'installer dans le confort et ne plus avoir à lutter pour sa survie. Mais les États-Unis, c'est la lutte pour la simple survie, précisément. Une lutte sans gloire ni débouché. La petite famille fraîchement débarquée échappe à la violence mais tombe dans une autre sorte d'aliénation, par le travail, ou plutôt par l'exploitation. Et le constat est désenchanté : quel avenir peut offrir la plus grande démocratie du monde à deux enfants à moitié orphelins et complètement déscolarisés ? Qu'ils viennent du Mexique ou pas. Une question qu'on pourrait tous se poser, à l'heure où l'Europe elle non plus ne respecte pas les droits des migrants...