Contemporain du néoréalisme italien, le film de Luis Bunuel n'a rien à envier aux drames sociaux de Rossellini et autre Vittorio de Sica. Cette proximité artistique, cette familiarité, n'empêchent pas Bunuel d'apposer sa griffe sur ce film qui, lorsqu'il délaisse un moment le réalisme brut, introduit des scènes oniriques troublantes ou d'étranges fulgurances qui rappellent la culture surréaliste du cinéaste.
"Los Olvidados" (les oubliés) ont pour cadre un faubourg de Mexico, véritable cité-bidonville, et pour héros, ou plutôt sujets d'étude, les enfants de la rue. Ils sont quelques uns, plus ou moins livrés à eux-mêmes, à errer dans des rues sinistres, sur des terrains vagues sur lesquels les édifices en construction semblent en réalité des ruines. Parmi ces jeunes garçons, deux font l'objet, de la part de Bunuel, d'une attention plus particulière: Jaibo l'orphelin, adolescent violent et, déjà, délinquant irrécupérable; et puis, plus jeune, Pedro dont la fréquentation de Jaibo pourrait l'entrainer sur la mauvaise pente. Leur sort, à tous les deux, semble déjà réglé.
La direction d'acteurs est aussi juste que le propos, qui est celui d'un humaniste éclairé, évoquant modestement le renoncement familial et éducatif, la pauvreté et l'exploitation des enfants; des enfants perdus et bientôt oubliés...
Des personnages "bunueliens" traversent le film, tels ce bourgeois qui tente d'acheter les faveurs de Pedro ou, surtout, cet aveugle intransigeant, brutal, en qui on est tenté de voir une incarnation divine, évidemment maltraitée par le cinéaste. On ne s'étonne guère, en tout cas, que soient absents de ce drame social la religion et les curés...
Enfin, considérant le dernier plan du film, sombre, cruel et tragique, on a envie de paraphraser Jean-Luc Godard à propos du regard d'Harriet Anderson dans un film de Bergman: c'est le plan le plus triste de l'Histoire du cinéma.