Plutôt que de s'attarder sur la question du "sens", systématiquement soulevée quand on parle de "Lost Highway", "Mulholland Drive" ou "Inland Empire", il me paraît beaucoup plus important de dire que "Lost Highway" est un film absolument magnifique, complètement envoûtant, représentant la quintessence de "l'Art Lynch" : évoluant dans des sphères de logique et de rêve totalement éloignées du cinéma traditionnel, il est en fait miraculeusement cohérent... pourvu que son spectateur ne cherche pas à "comprendre", seulement à habiter cette histoire de sexe et de mort, de perversions et de transferts (?) de personnalité. Thriller schizophrénique, divagation cauchemardesque sur le thème de la femme fatale, ruban de Möbius infernal, "Lost Highway" est une œuvre fracturée et spasmodique, mais enthousiasmante, s'apparentant autant à la musique qu'au cinéma (voici sans doute l'une des toutes meilleures bandes-son de l'Histoire du Cinéma !). Si les 40 premières minutes de "Lost Highway", très lentes, incroyablement angoissantes, sont ce que Lynch a fait de mieux, le film tout entier nous projette dans un univers où nous ne pouvons plus nous fier à nos sens, nous égare dans des mondes mentaux qui réussissent à être à la fois formidablement conceptuels et terriblement touchants : des codes du film noir - impeccablement illustrés - aux vertiges de nos pulsions les plus profondes (comment posséder vraiment une femme, comment la faire jouir, voici peut-être le seul vrai sujet du film), Lynch réussit avec "Lost Highway" ni plus ni moins que LE FILM PARFAIT. [Critique écrite en 1997 et 2001, et complétée en 2016]