La nuit, je mens.
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le 16 févr. 2014
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Sofia Coppola a décrit son propre film comme la mise en image d'une sensation, un état dans lequel on est, on reste et dont on ne sort que lorsqu'on pense encore y être. C'est cette sensation de flottement, que la vie est devenue silencieuse, que plus rien ne bouge, que les jours semblent passer sans que l'on ne s'en rende vraiment compte. Voici ce qu'est le film, une pause, une parenthèse, un grand néant.
C'est ainsi qu'on trouve les personnages de Bob et Charlotte, ayant tous les deux évolués dans le domaine artistique, le mari de Charlotte est photographe pour des groupes de musique, on apprend qu'elle a fait des études de philosophie, et Bob, lui, est un acteur connu dans les années 80 et ayant depuis perdu de sa célébrité, ou du moins de sa crédibilité en tant qu'acteur. Le lien entre les deux est évident, tous deux perdus à Tokyo, dans un pays qu'ils ne parviennent à comprendre, tant par, évidemment la langue, que plus important encore la culture qui bien que représentée telle quelle semble transformée par le regard que portent les deux personnages principaux, comme si ce surexcitement japonais, aux yeux de Bob notamment était encore plus incompréhensible pour lui durant cette période qu'il traverse, offrant un contraste flagrant entre les scènes euphoriques des fêtes et les scènes de plan simple sur Bob, seul dans sa chambre d'hôtel. L'exemple le plus connu est cette opposition entre la scène au karaoké, dans la cabine même, où les deux personnages semblent bien intégrés dans le groupe d'amis japonais de la jeune femme avant qu'ils ne se retrouvent tous les deux dans le couloir silencieux du bâtiment, comme si seulement tous les deux, deux américains, se retrouvaient l'un en l'autre.
C'est ce qui fait pour moi la puissance du film, c'est cette découverte ou redécouverte de l'un et de l'autre à travers chacun. C'est parce qu'ils sont tous les deux dans cette sorte de tristesse constante, de solitude pesante, qui est ici évidente en plus dans le titre, qui semble être résolue que lorsqu'ils se rencontrent réellement. Leur relation a été pour moi une démonstration assez prenante du réalisme du film, notamment par cet usage de l'écart d'âge comme une sorte de double exploration, d'une même émotion, d'un état d'esprit. On voit à travers deux points de vue leur besoin de ressentir quelque chose, de faire quelque chose de leur corps, de s'occuper l'esprit.
La cassure entre les États-Unis et les deux personnages "coincés" au Japon, car il me semble qu'ils ne sont pas là de leur plein gré, et doivent faire avec les circonstances qu'on leur impose, est si nettement marqué qu'elle reste au fond de la gorge ; comme cette scène au début du film lorsque le personnage de Scarlett Johansson tente d'appeler une amie, à laquelle elle semble chercher de l'aide et se libérer de la détresse qu'elle ressent notamment vis-à-vis de son mari mais aussi de sa situation post-diplôme qui la laisse dans un entre deux qui ressemble à un saut dans le vide. La réponse de son amie creuse d'autant plus le trou qui se forme avec son pays, en plus d'être géographique, il devient social, il touche à l’impossibilité à communiquer du personnage, à un problème plus profond que cela encore qui coupe Charlotte de tous et tout.
I went to this shrine today, and there were these monks and they were chanting. And I didn't feel anything, you know [...] I don't know who I married.
Quant à Bob, sa relation avec le monde extérieur et notamment ceux proches de lui comme sa femme, est quelque peu similaire à celle de Charlotte. En effet, sa femme est tout d'abord seulement une police d'écriture, des mots et des mots qui, d’une futilité terrible, le font questionner lui-même sa crédibilité, son engagement dans son travail et même dans sa vie de famille. La scène la plus marquante est celle dans laquelle le personnage de Bill Murray est au téléphone avec sa femme et cette dernière ponctue leur conversation de remarques sarcastiques montrant ici aussi cette communication rompue, ou perdue avec le monde extérieur.
-Do I need to worry about you Bob? (Lydia, la femme de Bob au téléphone) -Only if you want to. -Bob, I got things to do...
Leur relation prend alors un sens nouveau, c'est comme si ils voyaient enfin clair dans cette ville et vie éclectique. Leur écart d'âge comme je le mentionnais plus tôt à eu un rôle important dans mon appréciation du film car il me semble que eux-mêmes (les personnages) ont une vision bien différente de leur relation, voire qu’ils ne ressentent pas de la même manière les sentiments que l'un procure à l'autre. Ainsi, Bob est une sorte de romantique éperdu, comme il le montre dans la scène du karaoké, où il lui chante une chanson, ou encore dès la première fois qu'il la voit dans l'ascenseur où un seul coup d’œil le marque, et le fait se souvenir d'elle. Charlotte, pour moi, le perçois plus comme un "know it all", il est plus âgé et semble représenter pour elle une certaine sagesse, qu'elle explore notamment dans la scène où ils parviennent tous les deux, en compagnie de l'un et de l'autre à s’endormir après des nuits d'insomnies, là aussi message assez fort.
The more you know who you are and what you want, the less you let things upset you.
Et même si leurs sentiments ne sont pas les mêmes ils mènent à un même soulagement, une même confiance qui est formidablement représentée dans le film par notamment des purs moments de blancs, voire de gêne que les deux personnages partagent et qui permettent par les regards et les gestes imprécis de comprendre qu'ils se voient et qu'ils se sont compris.
Ce film m'a particulièrement touché mais il me semble qu'il serait d'autant plus intéressant de le voir, le revoir dans disons, dix ans puis vingt, sûrement que ma vision aura complètement changé, que le Tokyo de Coppola, passé du filtre doux de la réalisatrice, me paraîtra complètement désuet mais je considère que son propos restera inchangé.
But they learn how to walk and they learn how to talk and you wanna be with them. And they turn out to be the most delightful people you'll ever meet in your life.
Je m'en rend compte déjà maintenant en partageant avec ma mère un moment devant le film, le son de ses reniflements remplissant la salle, pendant la scène de fascination de Bob pour ses enfants, accompagnés d'un petit mot : "C'est la vie".
Créée
le 15 nov. 2023
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