Je ne sais pas vraiment où commencer. Ce film, c’est comme une porte qu’on ouvre et qu’on referme. Comme les livres d’un seul tome, qu’on ouvre, qu’on referme et c’est fini. On découvre pendant quelques heures quelque chose et jamais l’on y reviendra comme l’on s’y est ouvert une première fois.

Laurence Alia veut que sa sorte, ce n’est plus une question de volonté c’est impératif, il veut que sa compagne, Fred, le sache, il est une femme. Au delà de la question tout à fait d’actualité que le film pose, Dolan ne parle jamais d’autre chose que d’une femme. Il ne remet jamais en question le genre, le sexe mais seulement un monde changeant, un monde qui réagit autour de Laurence.

La première chose qui m’a réellement surprise et marquée c’est Melvil Poupaud. Je l’ai toujours trouvé monotone dans ses rôles, son jeu. On sait que quand son nom apparaît parmi les acteurs, on aura droit à la même tonalité, les mêmes expressions. Il m’a toujours semblé qu’il n’était jamais changeant lui, alors qu’en tant qu’acteur on offre toujours une palette de choix, que l’on affine. Et là, c’était différent. Enfin, ce ne l’était pas vraiment, j’ai retrouvé les mêmes mimiques, les mêmes yeux légèrement écarquillés, bouche entrouverte, visage penché mais Laurence est comme ça. Son jeu ne détonne pas, il en rajoute, et c’est en retrouvant les mêmes gestes avant et après sa transition en femme, qu’ils prennent tout leur sens. Elle a été comme elle est dès le début, et plus rien n’est choquant, redondant ou décevant. Son moi a changé et c’est évident mais, un substrat, dans le regard, à toujours été là.


Ok, je l’avoue c’est le premier film de Dolan que je vois et j’ai envie de dévorer sa filmographie tellement le film était beau. C’est un film de contrastes. Le premier qui me revient, c’est celui entre les deux protagonistes qui évolue si subtilement, avec tant de nuance, à travers le film. Il, avant de devenir elle, est toujours dans des couleurs assez sombres, ternes, rasé de près, elle, cheveux rouges, look flamboyant. Et puis, Laurence, presque maladroitement au début, s’inspire d’elle, des femmes de sa vie, et doucement ajoute de la couleur, bien que son personnage reste toujours dans une palette plus neutre. La relation de Laurence avec sa mère mériterait que j’en parle davantage, mais je dirais ceci : même dans les premières paroles de sa mère envers Laurence quand elle lui annonce qu’elle est sa fille plutôt que son fils, même dans leur dureté, restent sous-jacent d’une vérité, celle que Laurence sera qui elle est, et que sa mère ne lui retira jamais cela.


Et puis, cette ambiguïté permanente du genre, bien que ce mot n’est jamais prononcé. Lui s’appelle Laurence, elle Frédérique, prénoms dits “mixtes”. Deuxième contraste : dans leurs moments ensemble, Laurence et Fred sont proches, souvent dans des endroits plus clos, familiers (dans une voiture dans les premières scènes). Et puis, seconde moitié du film, quelques années plus tard, Fred habite dans une immense maison. Les pièces sont vastes, blanches, et elle fait toute petite, seule. Et encore une fois, lorsqu’elles sont seules, elles sont confinées dans une petite maison d’amis sur l’Île au Noir, ou encore dans celle qu’elles habite pendant leur escapade, là où éclate une dispute. C’est cette proximité qui me marque particulièrement, c’est là que toute la relation entre les deux personnages est la plus claire, dans les mouvements des corps et les regards qu’ils s’échangent entre eux.


C’est la fin qui m’embête quelque peu. J’en voit difficilement son intérêt après un film pareil, où tout un univers s’ouvre à moi, mêlant le familier, le chaleureux au froid, au distant. Aux mille nuances qui font de ce film, un film unique et particulièrement humain, la dernière scène semble convenue, presque déjà vue, décevante. Je n’avais pas besoin d’un rappel du titre en dernière scène, d’un retour à la Laurence du début du film (quoiqu’en y réfléchissant, c’est là que je vois le substrat). J’aime quand les choses sont laissées telles qu’elles sont, et lorsqu’on nous accompagne vers la vérité sans chercher lourdement à nous écraser le nez dessus.

faustine-g
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le 9 mars 2024

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