Douces rencontres tokyoïtes.
Elle est une jeune femme à peine sortie des études, qui ne sait pas encore ce qu’elle veut faire de sa vie. Lui est un acteur cinquantenaire en proie à la déprime, fuyant sa femme et ses enfants en se réfugiant dans son travail. A première vue, rien ne rapproche ces eux êtres si différents. S’ils s’étaient croisés aux Etats-Unis, jamais ils n’auraient fait attention l’un à l’autre de façon si pure et dénuée d’intérêt. C’est leur voyage à Tokyo, et le dépaysement qui en résulte qui leur offre l’occasion de se connaître.
Ayant aimé presque tous les films de la réalisatrice, j’avais de grosses espérances concernant « Lost in translation ». Je n’en suis pas le moins du monde déçue, au contraire. Ce deuxième long-métrage est un coup de maître, une œuvre magnifique, drôle et émouvante, teintée de mélancolie.
La force du film de Sofia Coppola est qu’il souligne délicatement les chocs culturels sans avoir recourt à des clichés horripilants. La ville est bien mise en valeur et les attitudes japonaises ne sont pas singées pour accentuer le mal être des voyageurs américains. La qualité d’écriture des héros, couplée à des figurants naturels dans leur façon d’être, fait que le tout fonctionne. De plus, les passages en langue japonaise nous sont dévoilés sans sous-titres, pour que l’on se sente aussi exclus que le héros qui ne comprend pas le moindre mot de la langue asiatique. Le spectateur n’aura donc aucun mal à comprendre l’isolement ressenti par Bob et Charlotte.
« Lost in translation » jongle habilement entre nostalgie et comédie. Grâce à la bonhomie de Bill Murray, certains passages sont vraiment drôles (le tournage de la pub de whisky, la première conversation du duo, le karaoké...). Mais de nombreux passages d’une infinie délicatesse sont également montrés (Charlotte visitant Kyoto, les discussions dans la chambre d’hôtel devant un programme japonais incompréhensible..). La scène finale, le dernier adieu dans une ruelle bondée, est incroyablement émouvante et juste. Rarement on n’aura vu une scène si touchante dans sa simplicité. Je trouve que la relation entre les deux protagonistes est tellement pure et naturelle qu’elle peut suffire à attendrir n’importe quel cœur endurci.
Il faut dire que les personnages sont parfaitement écrits et presque parfaitement interprétés. Presque, car la gourde Anna Faris, avec son personnage exubérant, tâche parmi le reste des personnages dépeints. L’actrice surjoue un rôle pas évident car peu travaillé, sans jamais humaniser son personnage. Un personnage comique n’a pas sa place dans un film où l’émotion prédomine. Fort heureusement, elle donne la réplique à des protagonistes plus poussés. Comme d’habitude, Bill Murray est tout simplement brillant. Il est drôle, pathétique, et excelle dans l’art de déambuler avec un air blasé. Typiquement le genre d’acteur qui interprète tellement bien son rôle qu’il devient inimaginable de voir un autre acteur à sa place. Le premier rôle féminin, celui de Charlotte est interprétée par la jolie Scarlett Johansson, à une époque où la jeune femme ne choisissait pas que des rôles basés sur sa plastique avantageuse. Charlotte est une jeune fille simple et "vraie", un personnage attachant avec ses forces et ses faiblesses. L’héroïne type de Sofia Coppola, passionnée par les jolies blondes. A noter également les courtes mais très bonnes apparitions de Giovanni Ribisi, un acteur trop peu reconnu. L’acteur était déjà présent dans « Virgin Suicides » où il prêtait sa voix au narrateur.
Il n’est cependant pas le seul pont pouvant être établi entre « Lost in translation » et la filmographie de Coppola. Les thèmes chers à la réalisatrice sont présents. On retrouve un protagoniste en décalage avec son environnement (Charlotte se trouve dans la même situation que « Marie-Antoinette », les sœurs de « Virgin Suicides », ou le héros de « Somewhere »), un fond de célébrité du côté de Bob (acteur, comme Johnny Marco de « Somewhere », devant gérer une vie publique comme Marie-Antoinette ; la célébrité est plus tard utilisée comme élément central dans « The Bling ring »). Comme on pouvait le remarquer dans chaque nouvelle sortie signée Sofia Coppola, la femme occupe une place prépondérante. Charlotte, héroïne simple et fascinante digne des sœurs Lisbon, ne fait pas exception à la règle. « Lost in translation », c’est aussi un cinéma du quotidien, mais moins vide que l’a été « Somewhere » quelques années plus tard. Les activités communes de Charlotte et Bob créent un lien profond entre eux et participent à leur évolution. Une évolution progressive, lente mais qui est palpable au dénouement du film. On se rend réellement compte à quel point rencontrer Charlotte a permis à Bob de retrouver le goût de la vie.
Comme à chaque fois, la mise en scène de Sofia Coppola est superbe. Posée et douce, elle convient à l’existence de Bob et Charlotte qui vivent leur vie sans artifices. Sans artifices... C’est peut-être ça le secret de Sofia Coppola. Filmer des personnages proches de la banalité, les placer dans une situation légèrement improbable, et laisser la magie opérer. L’humanité en elle-même n’est-il pas un sujet passionnant ?