Résidus de notes et contre-notes sur un film vu et vu. Désolé si le fil de narration vous perd. J'écris comme je parle et j'écris comme je crie.
Gosling acteur adulé de l'air Refn ! Gosling musicien rock-vintage ! A paraître dans nos prochains numéros : Gosling peintre, Gosling à Timbuktu, Gosling a marché sur la lune ! A cette heure, il est temps de célébrer la sortie officielle 2015 : Gosling réalisateur ! Sorti sous les coups de sifflés de la presse cannoise l'année dernière, son premier long-métrage arrive tardivement (comme cette critique) dans nos cinémas presque un an après sa première projection. On suivra l'histoire d'une famille qui vit dans une de ces villes fantômes où la survie est difficile tant les habitants sont en difficulté financière face aux délabrement qui vient peu à peu les gangréner. Les gangs et le traffic naissent chacun se bats pour avoir sa croûte en jouant au bord du gouffre qui se rapproche d'eux de jours en jours
Quand vient l'idée de parler, ou de voir un peu les ragots qui se disent à propos du premier film de Ryan Gosling seules les références montent à la surface. Les chasseurs de films sont de plus en plus des érudits fiers de montrer leur culture et de l'étaler comme de la matière grasse sur du pain. D'autres passionnés du septième art, se faciliteront la tâche en disant que le film est chiant et peu efficace.
Je ne viens pas faire preuve de négationnisme (même s'il semble que cela revient très à la mode ces derniers temps) vis à vis de ces multiples références qui viennent pulluler le film, je viens rappeler, comme encore beaucoup l'ont fait, que c'est un premier film. Quand on revoit les premiers films de certains grands on ne peut que saluer l'abondance de clins d'oeil ou de pompages positifs. Que ce soit dans l'oeuvre de Tarantino bercée par les séries B américaines ou plus récemment Dolan qui est fortement nourri par les clips musicaux et les comédies des années 2000. C'est en autre pour ces raisons que j'ai un peu de mal à en vouloir à ce réalisateur canadien. Bien que la reprise déborde par moment et malgré son esthétique hésitante, ce nouveau réalisateur nous livre une œuvre si personnelle !
Nombreux sont ces films héritiers de l'esthétique plus ancienne, néanmoins certains se détachent et proposent de la nouveauté dans leur période et viendront eux aussi semer des idées pour les futures générations. Ce sera peut-être aussi le cas pour Ryan Gosling. Tout comme le prêtre de La Montagne Sacrée, on reprend les excréments pour en extraire la sève qui viendra produire un nouveau métal. Ainsi Lynch, Malick ou encore Refn bien que souvent visités et parfois calqués dans le film, arrivent à proposer une vision nouvelle pour le jeune réalisateur qui se cherche encore.
Lost River est l'éclaboussure d'une peinture d'enfant. Fier, d'utiliser la matière colorée qu'il préfère, ce garnement l'étalera maladroitement avec ses doigts boudinés, et l'affichera courageusement sur le frigo familial avec l'aide d'un aimant. L'histoire racontée sous la forme d'un conte citadin, par les yeux de l'innocence et par les phrases candides, crée un langage propre au film qui vient donner un peu de charme et d'honnêteté au film. Certains hurleront au gnangnan, avec des répliques criant la banalité, ou encore l'utilisation omniprésente de la musique. C'est néanmoins avec ces éléments que le film s'affirme et se détache. Bien que les images sonne comme un déjà vu, Gosling créer une ambiance unique et inclassable.
"Puis, peu à peu, le film évolue vers des univers parallèles fantastiques [...] ce qui était super original pour moi à transmettre à l’écran." - Benoît Debie
Lost River c'est avant tout un film qui mêle le fantastique dans un quotidien, qui se métamorphose progressivement. Les personnages s'avèrent de plus en plus étranges au fil de l'histoire, les tags gisant sur les murs de la ville malade s'animent et s'immiscent dans la réalité. Les ciseaux peints viennent alors s'incruster dans le récit créant une menace à la fois irréel et concrète sur nos héros. Ce procédé permettra de créer habilement des allégories. Le paradoxe est tel que la violence sous entendu, ou relativisée devient alors plus violente dans sa représentation. Le cabaret macabre initialement présenté comme un spectacle d'hémoglobine factice vient directement créer une menace réelle sur les personnages en devenant lui aussi concret. Ou encore, les regards d'abord caricaturaux des « méchants » viennent eux aussi nous inquiéter quand la narration se développe, tant le décalage des attitudes est effrayant.
"Le cinéma c'est un oubli de la réalité." - Jean-Luc Godard
Avec cette approche visuelle et sonore, Gosling amène le spectateur à faire de l'apnée. Il oublie l'image qu'il se fait du paysage urbain dans lequel il vit chaque jour. Les flammes et l'eau prennent un sens tout autre, où le conte se mélange au film, où la violence se mélange à la beauté des images. L'immersion est telle que la nuit enflammée du film créera un choc violent au spectateur quand il découvrira la rue intacte et illuminée en quittant la salle du cinéma. Tout ça n'est qu'illusion au final, c'est des effets de montage, d'images et de sons. Une vaste mascarade qui vient nous manipuler. Ce n'est pas bien grave l'univers est vaste et notre esprit l'est plus encore, alors oublions tout et laissons-nous porter, dans ce monde si grand qui s'élargit à la vitesse de nos pensées et de nos émotions fragmentées.
Bien que le film arrive à se distinguer et s'affirmer sous cette forme, il souffre en premier lieu d'un défaut de rythme. Le film conserve pendant la majorité de son déroulant un tempo relativement lent mêlant l'histoire des trois protagonistes. Les destins se croisent, se distancent puis finiront par tous se réunir pour proposer une conclusion. C'est bien là que le film va sonner un peu faux. Bien que cette approche permet de livrer une accélération saisissante en mélangeant trois trames narratifs. Elle vient complètement déstabiliser le spectateur, une approche crescendo aurait permis au spectateur de s'habituer et l'impact aurait été plus fort. Ici la rapidité est si intense qu'une fois notre accommodation faite la séquence est déjà presque achevée.
Cette scène dynamique, vient livrait un ultime espoir, porter par l'enfance et le regard posé sur les flammes, on relativise la situation. Tout comme un enfant qui n'a pas conscience des événements, on ingurgite et on va de l'avant. On grandit et on oublie, c'est bien plus tard que l'on réalisera que notre souvenir avait rendu la vie moins crue et moins cruelle.
A l'image du film, ce défaut de mesure illustre bien ce qu'est le film. Le métrage est une combinaison de tentatives pour créer une atmosphère, Gosling essaye d'avoir ses mots et de créer son esthétique. Il n'hésite pas à développer son univers avec le cabaret macabre ou cette rivière mystique, il n'hésite pas à également alterner la caméra en épaule et les travelling léché.
Lost River c'est avant tout un pêle-mêle, peut-être que ce résultat est involontaire, néanmoins cela vient parfaitement s'emboiter avec ces souvenirs et ces fragments d'imagination qui se heurtent à la dure réalité. Le film est envoutant, il nous emportera ailleurs pendant deux heures et nous fera espérer encore plus longtemps.
Pour compléter un peu ce billet, ci-joint une interview de Benoît Debie directeur de la photographie du film. Il nous éclaire un peu sur son travail et comment un projet de premier film peu être abordé. Très intéressant. Interview de Benoît Debie, propos recueillis par François Reumont pour l'AFC
Merci à Lochson pour l'idée du titre de la critique.