Ayant déjà tâté de la caméra pour les besoins du Only God Forgives de Nicolas Winding Refn dans lequel il tenait le haut de l'affiche, le comédien Ryan Gosling passait le cap de la mise en scène avec son premier long-métrage, Lost River. Présenté dans la section Un certain regard au festival de Cannes en 2014, il mettra presque un an pour atterrir dans nos salles, et dans une version plus courte d'un bon quart d'heure.
Posant son récit en plein coeur d'un Détroit fantomatique que lui aura inspiré une mésaventure avec les forces de l'ordre durant le tournage de The Ides of March (l'acteur s'était fait arrêter alors qu'il filmait clandestinement des immeubles à l'abandon), Ryan Gosling illustre avec Lost River l'envers du rêve américain et son cortège d'espoirs brisés, s'attardant sur une poignée d'individus subissant de plein fouet les retombées de la crise économique de 2008.
Un contexte politique et social tangible qui a le mérite d'offrir une base solide à ce premier essai, illustrant avec un certain talent la lente agonie d'un microcosme voué à disparaître, englouti à la fois par la cupidité de l'homme et par la nature elle-même. Un point de départ qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler le très joli Beasts of the Southern Wild de Benh Zeitlin, même si la comparaison s'arrête là.
Des influences, Lost River en regorge, et c'est principalement ce qu'on lui a reproché lors de sa présentation à Cannes. Le jeune metteur en scène semble effectivement rendre hommage à certains cinéastes qu'il a côtoyé de près lors de sa carrière, comme Derek Cianfrance ou Nicolas Winding Refn, empruntant au premier sa vision d'une Amérique profonde laissée sur le bord de la route, et au second un univers fantasmagorique (rappelant également David Lynch) aux couleurs extrêmement prononcées.
Si l'héritage est forcément lourd, Gosling parvient heureusement à ne pas s'enfermer dans la citation stérile, apportant une identité propre à un film à la croisé du conte et du récit initiatique, convoquant même le post-apo à la Road Warrior dans sa façon de capter la folie d'une ville abandonnée aux mains d'un Matt Smith complètement barré.
S'entourant de noms talentueux à divers postes, faisant appel à un casting prestigieux (Saorse Ronan; Ben Mendelsohn; Christina Hendricks; Eva Mendes; Reda Kateb; Barbara Steele...), Ryan Gosling fait de son premier essai un livre d'images troublant et formellement à tomber, bénéficiant de la superbe photographie signée Benoît Debie et d'une bande son supervisée par Johnny Jewell.
Pas toujours accessible et manquant d'une certaine rigueur dans l'écriture, sous-exploitant également beaucoup de ses personnages, Lost River est une première oeuvre certes imparfaite et sous très haute influence, mais offre un voyage intriguant et d'une beauté incontestable, donnant fortement envie de voir de nouveau Ryan Gosling derrière la caméra.