Après nous avoir ébloui dans des films maintenant cultes comme Drive ou Only God Forgives où il a transcendé la définition de l'acteur hollywoodien en revenant à des fondamentaux minimalistes, Ryan Gosling passe avec Lost River derrière la caméra, et nous offre un film où lenteur et mutisme, avec lesquels il est familier, sont brillamment exploités pour magnifier des scènes de toute beauté.
L'action se passe dans une bourgade américaine en proie à la crise, comme le rappelle si bien le chauffeur de taxi étranger qui y migra dans l'espoir d'y trouver bonheur et qui vit vite ses rêves s'estomper pour laisser place à une réalité pleine de violence.
La violence, justement, est notamment incarnée par l'ennemi du héros, qui règne en maître sur le commerce du cuivre , le bien nommé Bully – la brute donc, mais aussi le taureau auquel il fait référence à un moment du film, le mâle.
D'ailleurs, nombre de personnages ont des prénoms tout droit sortis d'un bestiaire, ce qui laisse entrevoir, sinon une déshumanisation, au moins une animalisation, ou en tout cas une mise en exergue du côté primitif de l'Homme.
Ces personnages n'aspirent qu'à vivre, tout simplement, et bien qu'ils soient conscients ( ou pas ) des restrictions imposées par l'environnement dans lequel ils évoluent de ce côté là, ils ne peuvent se résoudre à quitter la ville, à laquelle ils semblent liés par une malédiction qui y régnerait depuis que la Lost River a submergé les villes adjacentes. Alors avant que le héros ne se décide enfin à aller voir au fond de la rivière si la solution à leur souci ne s'y trouve, ce sont - non sans une certaine amertume mais avec au final une certaine résignation face à l'adversité de la vie – ce sont dans les méandres d'une vie sombre que seuls les néons roses qui brillent un peu partout viennent illuminer qu'ils s'enfoncent.
Le héros, tel un Sisyphe camusien, se révolte parce qu'il est las de cette vie et de cette ville où on se repaît dans des sordides cabarets de simulacres de meurtres de ( belles ) femmes rendus réalistes au possible à grand renfort de fausse hémoglobine, dont le rouge contraste avec les dents blanches que les spectateurs découvrent en esquissant des sourires qu'ils accompagnent d'applaudissement, consacrant ainsi le grotesque du spectacle qui leur est offert, tels des empereurs romains qui se délecteraient de la mise à mort de gladiateurs.
La mère du héros fait partie de cette troupe de femmes, qu'elle a été contrainte de rejoindre pour payer ses dettes. Et comme elle n'a pas de talent particulier, c'est sa beauté qu'elle met à mal sur scène, et s'arrache le visage lors de sa première prestation.
C'est, de façon assez brutale et dérangeante, une désacralisation du beau, qu'on retrouve aussi quand le vendeur d'une supérette ne manque pas de faire remarquer à l'acolyte de la brute, qui s'est fait amputer les lèvres par ce dernier, qu'il est affreux.
Parce que oui, Bully n'a trouvé meilleur moyen d'asseoir sa puissance qu'en coupant les lèvres de ses opposants , les privant du droit de s'exprimer quand lui peut faire entendre sa voix via un mégaphone, par lequel il se plaît à rappeler qu'il ne faut pas toucher à son cuivre, ou encore, dans une scène qui a apparemment été coupée au montage, par lequel il enjoignait ses pairs à admirer sa musculature de mâle . Et pour rappeler son statut de mâle alpha, il aime bien crier aussi, Bully ( qui aurait pensé qu'il était quite a screamer * ? )
Bref, Bones, le héros, égérie fantasque du prolétariat, devra finalement trouver un moyen de se rebeller contre le méchant évidemment, mais au delà de ça, contre une société violente, décadente, nostalgique d'une période plus clémente où la vie n'était pas rose que grâce aux néons.
Avec ce premier film, Ryan Gosling nous offre quelque chose qui n'est peut être pas aussi profond que la rivière qui a donné son titre au film, mais dans lequel il n'est pas déplaisant de se perdre.
*Ceci est évidemment une référence à Doctor Who, série dans laquelle jouait Matt Smith, qui joue ici le personnage de Bully.