Il aura fallu attendre un an pour voir la première réalisation de Ryan Gosling. Le film était sélectionné dans la section "un certain regard", au festival de Cannes 2014 et l'accueil ne fût pas des plus chaleureux. Les critiques lui reprochant d'être vain et prétentieux. Alors qu'en est-il vraiment ?
L'histoire est ambitieuse, Ryan Gosling a mis la barre très (trop?) haute pour son premier film, dont il est aussi le scénariste. Il assume l'influence des réalisateurs qu'il a côtoyé : Nicholas Winding Refn et Derek Cianfrance, mais le côté fantastique, fait aussi penser à David Lynch. C'est aussi cette ambition qui est sa force, en ne voulant pas juste faire un film pour "se faire la main". On sent une envie de surprendre, d'aller dans une direction ou ne l'attend pas et de ne pas faire un film commercial, mais une oeuvre singulière.
Mais est-ce vraiment surprenant de sa part ? On le catalogue souvent comme un acteur romantique, devenu une icone avec Drive. Ce serait vraiment réducteur de l'enfermer dans cet univers, car Ryan Gosling est avant tout, un artiste. Danny Balint, The United States of Leland, Half Nelson ou Blue Valentine, ne sont pas des œuvres "faciles". Il n'est pas étonnant de le voir au casting du prochain Terrence Malick, un autre réalisateur avec une esthétique qui devrait aussi l'influencer. Bien sur, il joue de son physique et se perd parfois dans des productions moyennes, comme Gangster Squad. Mais il alterne les grosses productions et films d'auteur, tout en se permettant d'être compositeur, chanteur et producteur exécutif. Sa soif d'apprendre, de prendre en main son destin, ne pouvait que se finir derrière une caméra.
Son film est fascinant, il est d'une immense beauté visuelle, même si parfois il en fait trop, ce qui peut agacer, mais je rappelle que c'est un premier film. Son conte est cruel, traversé par des fulgurances visuelles morbides, mais aussi poétique. La tension est constante, on sent que tout peut basculer à tout moment. On attend l'étincelle, qui va enflammer cette banlieue de Detroit en ruine, frappée par la crise économique de 2008.
C'est dans cet univers en pleine décrépitude, qu'une mère célibataire tente de survivre avec ses deux fils. On sent de l'amour entre eux, dès les premières images, sous le soleil, avant que cela s'assombrisse face à la réalité économique, représenté par un banquier malsain. Cet homme qui use de son pouvoir, face à cette femme en détresse. Cette constante lutte des classes, ou celui qui a l'argent, se croit tout permis, jusqu'à assouvir ses pulsions les plus malsaines. La salle ou se réunissent ces nantis, s'amusant de tout, est salement glauque. Pendant que la mère tente de s'en sortir dans ce nouvel univers de déchéance, le fils fait de même face à la violence, d'un autre homme. Ces tentatives de domination aussi bien physique, que psychologique, instaurent ce malaise palpable, se rajoutant à la tension qui s'est sournoisement emparée de nous.
Au-delà de sa réalisation réussie, tout comme sa photo, il y a ce casting étonnant, ou chacun brille à sa façon. Ryan Gosling dirige magistralement ses acteurs. Après le faible Dark Places, Christina Hendricks joue encore le rôle d'une mère célibataire, dans une situation financière difficile. Même si son personnage de Joan Holloway dans Mad Men lui colle à la peau, elle parvient à s'en défaire doucement, en prouvant qu'elle n'est pas une simple actrice à la beauté envoûtante, en choisissant des rôles complexes. Ben Mendelsohn est surprenant, certes il a le mauvais rôle; comme souvent; mais il fait preuve d'une folie dans la danse et le chant, qui marque les esprits. A chacune de ses apparitions, la peur s'installe. Son regard est d'une violence fascinante, tout comme sa voix. Il en va de même pour Matt Smith, délaissant son flegme britannique, en composant un fou furieux, qui a toute sa place dans l'univers de Mad Max. Iain De Caestecker est la révélation, un jeune acteur britannique, qui traîne sa bonne gueule dans les rues et maisons abandonnées, de ce Detroit en ruines. Sa relation avec Saoirse Ronan, fonctionne très bien. Elle est aussi touchante que lui, en vivant seule avec sa grand-mère muette interprétée par Barbara Steele, actrice iconique des années 60, dans des productions fantastiques européenne. La "french touch" est représenté par Reda Kateb en chauffeur de taxi humain, dont le sourire réchauffe un peu le cœur. Eva Mendes est aussi présente, amie de Ryan Gosling à la ville, elle complète un casting cosmopolite, à l'image de ses diverses influences artistiques.
Pour un premier film, c'est une réussite, même si l'intrigue manque de profondeur. Ryan Gosling fait preuve d'une noirceur insoupçonnée. Certes, il a besoin d'épurer son style, de se défaire de ses aînés, pour imposer sa propre vision, qui semble intéressante. J'attends sa prochaine réalisation avec impatience, pour être à nouveau surpris et émerveiller.