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Dans son sixième long-métrage, Emmanuel Bourdieu traite de l’une des figures les plus controversées de la littérature française : Louis Ferdinand Destouches, dit Céline. En résulte une œuvre...
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le 16 mars 2016
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Faire revivre, sous les traits d'un autre, le grand homme. Le pari est risqué, nécessairement, et la démarche de ceux qui entreprennent de le tenter mérite le respect ; a priori, et plus encore lorsque le défi est relevé avec brio, ce qui est le cas ici. Mais ce succès ne va pas sans certaines libertés et le réalisateur, en accord avec son volcanique acteur, Denis Lavant, prend celle de faire parler son Céline comme l'auteur écrivait, avec une gouaille éruptive constamment jaillissante, alors que l'homme Louis-Ferdinand Destouches s'exprimait plutôt comme l'on écrirait, de manière posée et choisie, revendiquant, dans ses entretiens (voir le précieux documentaire "Céline vivant"), un "raffinement", mentionnant volontiers son aïeul agrégé de Littérature, son père lettré... Paradoxe d'un personnage qui en recelait plus d'un...
Une fois admis ce pas de côté par rapport au réel, la relecture cinématographique de cet épisode danois de la vie de Céline reste fascinante. Dans la belle lumière du nord très justement louée par Fritz Langueur (https://www.senscritique.com/film/Louis_Ferdinand_Celine/critique/84709059), on voit l'immaîtrisable auteur, flanqué de sa compagne danseuse (Géraldine Pailhas, parfaite), durant son exil danois, s'apprêtant à recevoir la visite d'un jeune universitaire américain qui lui fait la grâce et l'honneur de continuer à se poser en zélé défenseur de sa cause et en fervent admirateur de ses ouvrages romanesques. L'auteur, pareil au Morholt de "Tristan et Iseult" ou au Minotaure antique, friand de chair fraîche (ce Milton Hindus - Philip Desmeules - qui vient à sa rencontre, les jeunes élèves danseuses de sa femme...), se fait matois, charmant dans son accueil, intéressé qu'il est par la perspective d'une réhabilitation après ses écrits scandaleux et solidement gouverné par sa Lucette Almanzor qui le gourmande comme un enfant.
En quelques scènes, par un mécanisme subtil de dégradations irréversibles, tantôt feutrées, tantôt éclatant avec violence, Emmanuel Bourdieu montre l'évolution du lien, et le dévoilement progressif du grand homme en monstre affamé de destruction. Une destruction qui visera non seulement l'autre - surtout lorsqu'une rivalité littéraire se fait jour, à travers la révélation des projets d'écriture qui animent Hindus -, mais pourra même atteindre la propre image de Céline, sans que celui-ci paraisse s'en soucier le moins du monde.
Ce suivi oppressant de la destruction méthodique d'un lien est rythmé par les tours de roues de la bicyclette qui transporte Hindus, d'abord fébrilement, vers son dieu vivant, puis, de plus en plus précipitamment, loin du fauve destructeur qu'est devenu Céline. On assiste impuissant aux quelques tentatives, d'abord charmeuses, puis de plus en plus désolées, de la pauvre Lucette, qui tente encore d'apporter quelques notes d'harmonie dans ce massacre. La très belle musique de Grégoire Hetzel, tout en notes étirées à l'extrême et dissonantes, à l'image de l'attente finalement déçue du jeune universitaire, accompagne ce patient apprentissage d'une désillusion.
On ressort de ce film aussi essoré que le malheureux Hindus, avec le sentiment doublement amer d'une part que l'humble mortel ne s'approche pas impunément du génie et d'autre part que, contrairement à ce qu'illustre l'optimisme humaniste de la fable de La Fontaine, il n'est pas dit que les grands lions consentent aisément à se voir sauvés par de menus souriceaux.
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le 18 févr. 2017
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