Avez-vous déjà ressenti cet étrange sentiment de honte lorsque vous avez aimé une œuvre pourtant universellement considérée comme médiocre ? Vous admettrez d'ailleurs souvent votre infamie en nommant l’œuvre en question « plaisir coupable ». Vous êtes donc coupable ! Coupable de ne pas avoir ressenti la même haine, le même embarras que le reste de la population critique. Ce sentiment est d'autant plus marqué que vous êtes généralement plutôt d'accord avec ladite population et que votre radar à bouses fonctionne d'ordinaire plutôt correctement. Vous vous êtes déjà demandé dans votre fort intérieur en voyant un déchet intersidéral sur votre écran "Mais qui donc avec un minimum de goût pourrait aimé une telle merde ?". Et vous considérez posséder tout de même un certain raffinement culturel qui vous autorise à émettre des jugements de valeur valides. C'est exactement la position dans laquelle je me retrouve face à ce film. Croyez-moi sur parole je ne suis pas un aficionados de Dubosc. Je ne possède un slip de bain dédicacé de Camping 3 et sa présence à l'affiche d'un film me fait le même effet qu'une tranche de citron dans mon verre de coca (« qui a mis cette merde là dedans ? »). Je vous jure devant Dieu (Morgan Freeman) avoir vraiment regardé du Bergman et du Kurosawa avec plaisir et émerveillement. Mais voilà j'ai passé un bon moment devant Loups-garous. Que faire ? Me terrer dans un coin sans mot dire en espérant que personne ne remarque jamais la moyenne que j'ai accordée au film ? Peut-être même lui mettre un 3 pour la forme pour que personne ne puisse me soupçonner en sacrifiant mon honnêteté intellectuelle pour cacher mon déshonneur ? Que nenni. Sans chercher à défendre particulièrement le film, j'aimerais essayer de comprendre moi-même à travers cette critique pourquoi ce film m'a plu alors qu'il a déplu aux autres et en profiter peut-être pour mener une réflexion sur la question de la « norme du gout » et de l'objectivité dans la critique ?
Commençons par comprendre pourquoi le film a été aussi mal reçu par le public.
Avant de s'attaquer aux reproches très objectifs que l'on peut adresser au film, j'aimerais tout d'abord émettre une hypothèse, une hypothèse tout à fait invérifiable mais qui mérite d'être évoquée comme élément de compréhension possible du torrent de haines reçus par le film. N'est-il pas possible (et allons plus loin « probable ») qu'un critique avisé ait tout d'abord un sentiment de répulsion lorsqu'on lui présentera le projet du film ? Une inclinaison naturelle à présupposer le film nécessairement mauvais ? Quoi de plus logique après tout ? Peut-on vraiment lui en vouloir ? Une comédie française (premier red flag) avec Dubosc dans le rôle principal (deuxième red flag) produit par Netflix (troisième red flag) avec la volonté de surfer sur un jeu de rôle populaire (quatrième red flag) en utilisant le voyage temporel (cinquième red flag). S'il existait un Tinder des films, celui-ci ne recevrait certainement jamais aucun match de passionnés de cinéma. Il part avec un a priori si négatif que pour beaucoup il sera totalement impossible de s'en défaire complètement. On n'arrive pas avec un regard neutre. On a déjà choisi que le film serait mauvais, même extrêmement mauvais. C'est là un premier élément qui risque d'influencer le spectateur et le film est déjà presque condamné à recevoir des avis majoritairement négatifs. Je pense que rares sont les films qui parviendraient à s'en sortir face à tant d'avis préconçus. Réfléchissez un instant : existe-t-il vraiment des films unanimement encensés qui partaient avec un a priori aussi défavorable ? Qu'on soit clair 90% du temps, l'a priori en question se justifie dans la médiocrité effective du film. Cependant, j'estime qu'il doit bien exister un petit pourcentage de films qui mériteraient d'échapper à la règle mais feront face à une forme de déterminisme culturelle qui les condamnera quoi qu'il arrive.
Le phénomène est ensuite amplifié dès que les premiers avis négatifs tombent. Plus un film est critiqué ou moqué, plus nous aurons naturellement envie de suivre la tendance. Moi-même avec mon généreux 5, si le film avait été mieux reçu, n'aurais-je pas poussé la note plus haut ? Ne me suis-je pas construit des barrières par peur inconsciente de l’opprobre et du ridicule ?
Il est tout à fait possible que ces deux phénomènes n'aient que très marginalement joué dans la mauvaise réception de Loups-garous et il est très probable que vous ayez tous raison de le considérer comme un étron cinématographique mais je pensais intéressant de soumettre ces deux hypothèses. J'aurais fait un piètre avocat si je n'avais pas mentionné cette possibilité. Avant que d'essayer de dédouaner mon client du crime, j'essaie au moins d'émettre un doute sur l'objectivité des enquêteurs et donc de l'enquête qui amène mon client au tribunal des bouses.
Rentrons maintenant dans le cœur de ce qui est réellement reproché au film, les arguments concrets qui sont avancés pour le critiquer. Beaucoup de monde semble considérer que le film est mensonger, trompeur et manque son sujet. En effet, qu'est-ce qui caractérise une partie de Loups-garou ? L'aspect enquête, la suspicion qui règne en maître, les hypothèses qui fusent à partir de tout petit détail qui se transforment en indice puis en preuve irréfutable. On pensera aussi aux rôles spécifiques que tout le monde connaît. On pourrait donc être en droit d'attendre un film plus sérieux ou au moment un film qui tournerait avant tout autour d'une enquête et qui reprendrait les codes du jeu. De ce point de vue là, effectivement Loups-garous ne répond pas du tout au cahier des charges. Le jeu de Loups-garous représente plus un prétexte narratif et un contexte de fond diffus pour faire une comédie familiale sous forme de mélange de Jumanji et d'une version inversée des Visiteurs dans laquelle une famille en proie à de multiples conflits va devoir « se retrouver ». Dès lors le spectateur peut se sentir trahit d'autant plus s'il aime le jeu car si le scénario tente de reprendre l'idée de rôles et de pouvoirs attribués aux personnages ceux-ci semblent forcés et correspondent mal à leur véritable définition dans le jeu. Il y a donc de quoi être agacé et cela je le concède. Cependant je n'ai personnellement jamais cru que le film serait autre chose que ce qu'il propose. Le casting et les bandes annonces me semblaient bien annoncer à quel type de projet on avait affaire. Regretter ce choix, je peux le comprendre, mais lui en faire le reproche et s'en servir comme valeur étalon pour juger le film ne me semble pas très juste. Pour exagérer le trait c'est un petit peu comme regarder Apocalypse Now et s'offusquer en disant : « vraiment cette comédie romantique est complètement ratée ». Or c'est à mes yeux l'argument principal de ceux qui descendent cette petite comédie d'aventure sans prétention. Oui le film aurait pu être pensé autrement, mais pouvons nous nous concentrer sur ce qu'il est réellement au lieu de fantasmer sur un film qui n'existe pas ?
Je ne prétends pas que Loups-garous est une comédie hilarante et brillante mais je trouve qu'elle coche toutes les cases d'une comédie familiale plaisante. En premier lieu, son humour même s'il peut paraître parfois un peu forcé et qu’il manque d'originalité ne m'a jamais semblé gênant. Il ne m'a (presque) jamais mis mal à l'aise, ce qui aurait été la marque la plus évidente d'une mauvaise comédie. Ici on ne voit pas le personnage principal se « mettre une flûte dans l'arrière train » (Les nouvelles aventures d'Aladin), ni expliquer le concept du « viol cool » (Gangsterdam), ni encore « péter dans l'eau comme Jean-Paul » (All Inclusive) pour citer quelques ceintures noires du mauvais goût français. Je dirai même que plusieurs traits d'humour de Loups-garous m'ont décoché un petit sourire voire un petit rire comme le running gag de la flèche, les anachronismes musicaux, la confrontation entre les idées féministes modernes et celles moyenâgeuses des habitants de Thiercelieux. Je trouve que tout cela n'est pas si mal écrit et exploite correctement le potentiel de la situation.
Cet humour, donc pas si médiocre que cela, s'articule autour d'un scénario plat et superficiel mais néanmoins cohérent et abouti. Cohérent parce que les personnages cherchent réellement à s'en sortir et toutes leurs actions sont menées dans ce sens et également parce que la caractérisation sommaire des personnages respecte un certain cahier des charges. Abouti parce qu'on a bel bien une résolution des conflits à travers le récit. J'ai pourtant bien entendu certains critiquent lui reprocher de ne pas vraiment le faire et pour le coup je m'inscris véritablement en faux face à cet argument que je trouve fallacieux. On ne peut pas demander à une petite comédie familiale d'avoir la complexité psychologique d'une série HBO. Il est évident qu'il y aura des facilités narratives et un côté artificiel dans la manière de rapprocher les personnages, de les faire évoluer à travers des prises de conscience un peu trop rapides. Mais aussi artificiel tout ceci peut-il paraître, il y a toujours une justification aux évolutions des personnages et il y a bel et bien un cheminement (certes en empruntant quelques raccourcis) vers la résolution logique du film : la réunion d'une famille dysfonctionnelle et la résolution des conflits qui la gangrènait. Si certains personnages sont sous-exploités (on pensera surtout aux enfants), d'autres relations sont joliment traitées comme celle entre Dubosc et Reno qui trouve une conclusion mélancolique, poétique et émouvante.
En conclusion, j'ai le sentiment que si l'on passe outre ses appréhensions et ses a priori et que l'on accepte le film pour ce qu'il est, c'est à dire non pas une adaptation fidèle du jeu mais plutôt une comédie familiale avec un concept à la Jumanji, alors il n'y a pas de raisons de détester ce film ou de le descendre. Mais ces deux conditions semblent pour la plupart impossibles à accepter.
Voilà j'ai essayé de faire mon Jacques Vergès du cinéma. Je laisse maintenant les jurés délibérer, même si je sais le procès perdu d'avance.