Du sang, du sperme et des larmes

C'est quoi la meilleure chose dans la vie ? L'amour. Et après ? Le sexe. Et si on faisait un film avec les deux ?


L'amour c'est quoi ? C'est de rompre des promesses avant de les faire, de les rompre sans le vouloir ou même de savoir. C’est de connaître la finalité avant même de l’avoir vécu. C’est de vivre avec des trous noirs constants, des coupes déstabilisantes, sans savoir où donner de la tête ou se rendre compte du lapse de temps écoulé. C’est regretter le passé et détester le présent. C’est baiser mais pas juste baiser, dans d’autres lieux, avec d’autres gens, parce qu’on en a envie ou parce qu’on s’y sent contraint. C’est gâcher la vie de l’autre. C’est voir l’autre personne constamment, l’imaginer à la place d’autres personnes, du vide. C’est se sentir comme une merde, qui n’a rien compris à la vie et qui ne se comporte pas assez en adulte. C’est se prendre une faciale en pleine gueule. C’est un sentiment en trois dimensions.


Je pouvais difficilement écrire cette critique sans passer par un petit texte ne voulant pas dire grand chose mais qui me permet d’exprimer un peu mon ressenti face au film. Un film qui finalement ne déroute pas tant que ça, n’est pas si provocant que ça (un peu quand même), d’autant plus si on a déjà vu Enter The Void avant. Mais qui est extrêmement riche.


Une fois de plus, la structure narrative n’est pas linéaire, les scènes se répondant, revenant sur elle-mêmes, allant à contre-courant chronologique. Mais entre chaque plan et même à l’intérieur de certains, un cut au noir vient également se placer systématiquement. Comme si le spectateur, à l’instar des personnages, devait perdre la notion du temps pour mieux apprécier le film, ou ressentir cet état second dû à la drogue, à l’amour.


Car il est bien question d’amour dans Love et non de sexe vaguement intégré à une histoire provocante, un amour passionnel et sale, égocentrique et rétrospectif. La longue scène de sexe à trois ressemble d’ailleurs un peu à celle de La vie d’Adèle, mais pourtant ici la sensualité est dix fois supérieure, elle prend aux tripes, bref on se laisse prendre au trip.


Les personnages, un peu comme dans Blue Valentine, sont tour-à-tour heureux puis malheureux, s’aiment puis se détestent, ensemble puis séparés. Difficile de trouver véritablement un sens à ce montage entre passé et présent, mais le tout forme par magie une histoire organique, répétant parfois les mêmes choses pour mieux les déconstruire, et se finissant par l’amour le plus pur et le plus simple, un amour déjà disparu d’ailleurs.


Cette histoire est en outre loin d’être impersonnelle, Gaspar Noé plaçant son prénom et son nom de famille sur des personnages de manière non anodine, comme s’il cherchait à s’auto-critiquer sur la vie qu’il a vécu. « La vie n’est pas facile » se dit-il à lui-même de manière bouleversante. Gaspar Noé a également probablement quelque chose contre ses parents, Enter The Void narrant une histoire fraternelle tragique et le nom « Noé » étant ici porté par l’ex d’Electra, pseudo-intellectuel qui n’est « qu’un moins que rien ». Ce personnage dit d’ailleurs littéralement à Murphy et donc au spectateur (par un gros plan accentué par la 3D) qu’il n’est qu’une merde. Rarement une telle proximité avec le réalisateur s’était faite sentir au cours d’un film. Gaspar Noé = Murphy = spectateur, c’est-à-dire un être inférieur face à la puissance destructrice de l’amour, ne pouvant être sauvé que par le résultat de cet amour : l’enfant.


Il faut bien dire que la 3D renforce merveilleusement ce sentiment, en plaçant Murphy seul dans le cadre, enfermé dans un espace aussi profond que le néant de sa vie sans Electra. C’est aussi grâce à la 3D que les gros plans subjectifs de sexes masculins en érection prennent sens, en permettant d’allier identification à une provocation métaphorique, celle de se sentir mal, inférieur. Mais le plan qui m’a sans doute le plus subjugué de tout le film, c’est ce regard caméra d’Electra capté en super 16 par Murphy. Jamais je n’avais senti un regard de cinéma aussi proche du mien, un personnage ayant autant conscience de ma présence. Sublime idée d’avoir allié super 16 et 3D, permettant un degré de proximité inouï.


De toute façon c’est certain, Love en laissera sur le carreau. Mais je crois que pour le coup, il ne faut pas se laisser berner par l’apparente provocation vaine du film mais au contraire se laisser porter par les personnages, par la signification du sexe dans leur relation. L’amour, c’est la vie 24 images par seconde.


P.S. : et pas merci au putain de couple qui était à ma gauche, la femme indiquant constamment à son mari ce qui se passait à l'écran à HAUTE VOIX bordel.

Créée

le 18 juil. 2015

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Antofisherb

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