"Stupide", lance le jeune samouraï, les yeux baissés, tournant le dos à la fine silhouette qui s'empresse autour de lui : une colère feinte qui pour son épouse, rompue à ce petit jeu, sonne plutôt comme une caresse.
Une première scène empreinte d'une douceur de vivre qui nous fait entrer d'emblée dans ce drame d'un autre âge et pourtant intemporel, du Japon féodal : celui de Shinnojo, samouraï de bas étage, goûteur de mets pour le seigneur du château, et qui à la suite d'une intoxication, se retrouve malade puis très diminué, et bientôt privé de son seul moyen d'existence.
Dans la pièce, largement ouverte sur le jardin, entre chants d'oiseaux et pruniers en fleurs, Kayo, ombre furtive et gracieuse, glisse à pas menus, meublant de sa présence silencieuse la souffrance et la frustration d'un mari tant aimé, dont elle surprend, jour après jour, le regard vide qui semble la fixer.
Voit-il enfin sa beauté juvénile aux formes à peine esquissées dans le simple kimono, sa nuque blanche et gracile sous les cheveux de jais, et le cou délicat qu'elle incline vers lui, dans un geste d'adoration?
Comment ne pas l'aimer? S'interroge Tokuhei, le vieux serviteur, l'homme à tout faire, l'ami de toujours, qui donnerait sa vie pour ce jeune maître vénéré, son respect le disputant à l'admiration qu'il voue à la jeune femme.
Mais le vent a tourné, et perdu dans de sombres pensées, Shinnojo, dévasté, n'est plus que l'ombre de lui-même, souffrant dans sa chair et son coeur de l'injustice du sort qui désormais le condamne au statut d'indigent, devenu simple objet de pitié ou de mépris, en proie à une violence destructrice qu'il retourne contre lui.
Yamada, dans une sobriété et un réalisme absolus, sans effets superflus ni surenchère d'aucune sorte, sans musique envahissante, laisse les émotions s'installer, faisant la part belle aux gestes et aux silences : ceux d'un guerrier qui a perdu son honneur, ceux d'une épouse, qui pour l'amour d'un homme, et au risque de le perdre, sacrifiera, toute honte bue, sa réputation et sa vertu.
Ce souci de réalisme, cet esthétisme raffiné que souligne la beauté de la photographie, on les retrouve dans la superbe scène de combat : par respect du "bushido", Shinnojo va venger son amour et son honneur contre l'homme qui l'a trahi et trompé, l'un des plus terribles bretteurs, et pourtant, aucune performance surnaturelle dans ce duel au sabre fait de coups manqués et de trébuchements, juste le courage d'un homme et sa détermination farouche, quitte à y laisser la vie.
Et il serait injuste, pour terminer, de ne pas saluer aussi les performances des deux acteurs débutants, auxquels le réalisateur a choisi de faire confiance : Takuya Kimura (déjà connu au Japon en tant que chanteur), et surtout la jeune Rei Dan, qui insufflent à leurs personnages fraîcheur et passion.
Une oeuvre de touche classique, belle et surtout d'une grande simplicité,
celle qui ne s'acquiert qu'au prix d'un travail minutieux , signe
d'une maîtrise extrême
disait Ozu, une peinture de la société, sans doute de l'ère Tokugawa, dessinée comme une estampe japonaise, par touches colorées, d'un trait net et fin.