Love and Peace
7.2
Love and Peace

Film de Sion Sono (2015)

Shion Sono est vraiment un auteur dont j'adore l'oeuvre. A travers une bonne partie de ses films il crée son propre univers, une sorte de dimension parallèle où l'intégralité de la folie humaine suit à la lettre celle de son créateur. (Si je dis "une bonne partie de ses films" et pas tous, c'est parce que dans certains films plus "sages" tels que The land of hope ou Be sure to share, le bougre nous sort de simples comédies dramatiques carrément classiques et typiquement japonaises. J'adore me dire que c'est un peu comme si un réalisateur français sortait à la fois des drames à la Intouchables et des cross-over de Robocop et Star Wars saupoudrés de surréalisme.)
Cet univers propre au gars, on le retrouve donc plutôt dans ses comédies/drames/films de genre, comme l'excellent Love Exposure qui résume bien à lui seul ses tendances touche-à-tout.
Et ce qui est bien, c'est qu'à chaque fois qu'il remet le couvert, on se sent à la maison. Même si la cuvée Sono 2015 n'a pas vraiment produit de chef d'oeuvre, même si Tag et Tokyo Tribe ont pas mal de défauts irritants, sans parler de Minna! Esper Dayo qui est absolument chaotique... malgré ça, on reconnaît tellement le même univers dans la façon d'aborder des thèmes, et dans le traitement des personnages totalement névrosés, excentriques et lunatiques; qu'à chaque fois on se sent chez soi.


Love & Peace n'échappe pas à la règle. On sait qu'on est dans un Sono et nulle part ailleurs, on sait qu'on va passer deux heures de pur délire. Là où l'exercice est vertigineux, comme d'habitude, c'est que dans ces fictions complètement déjantées se mêlent "dangereusement" des idées et ambitions géniales et des traitements quasi-nanardesques. Le but est de faire un chef d'oeuvre complètement con, qui te fasse marrer mais qui soit un pur plaisir esthétique, qui soit totalement abusé mais qui t'émeuve, qui aille beaucoup trop loin tout en gardant ton attention...


Et je trouve que pour celui-ci, c'est un peu raté.


Au début on se dit putain ça va être trop cool génial tip-top


Beaucoup d'idées lancées dans la première demi-heure sont tout à fait alléchantes. On suit un personnage totalement looser qui veut se (re)lancer dans le rock, est pris d'affection pour une tortue et une femme tant qu'on y est, mais qui est surtout totalement looser. Après un traitement totalement absurde et juste hilarant des actualités à la télévision (clin d'oeil à Amélie Poulain ?), il apprend qu'il y aura des concerts pour les Jeux Olympiques du Japon de 2020.
(L'action se situe ici dans un Japon moderne totalement décontracté et... qui s'en balek de la bombe nucléaire. Genre ça y est, la guerre la tristesse la souffrance tout ça c'est derrière.)
Et donc en apprenant qu'il y aura un concert au Olympic Stadium, il veut retenter sa chance dans la musique, lui qui avait échoué comme un minable pour finir pauvre employé de bureau. Snif. Alors il fait la liste des étapes à suivre, il dit à sa tortue "vas-y on va leur montrer ce qu'on sait faire", etc etc.
Et là tu te dis yes, ça va être super marrant et jouissif, on va suivre l'histoire de ce mec complètement abruti qui va essayer de devenir une rock star, ça va être complètement fou, on va s'éclater !


Eh bah non !


Enfin pas totalement. L'introduction du "monde des jouets" dans le film n'est pas une mauvaise idée, mais beauuuuuuuuucoup trop de temps est réservé aux scènes où on voit ces sortes d'égoûts chelous avec des jouets abandonnés. Alors oui c'est très la référence à Toy Story, oui c'est une super idée de faire parler des peluches/jouets/animaux pour introduire une dimension Muppet Show jamais vue dans l'oeuvre de Sono. Sauf que hélas, ces personnages sont pas assez dynamiques ni attachants, ils finissent même par devenir terriblement ennuyeux. La démarche souffre de comparaison avec Les Feebles, où Peter Jackson à ses débuts faisait teeeellement mieux avec cette idée-là. Et puis le côté beaucoup trop lisse et propret de ces personnages achèvent de rendre le tout insupportable.
Ce "monde des jouets" casse le rythme du film, avec des scènes beaucoup trop lentes et longues qui s'entrechoquent avec des scènes bien trop rapides pour l'ascension du personnage principal, qui en fait n'est pas vraiment un personnage principal. Et c'est tellement dommage, de passer à la trappe la partie la plus amusante du film pour se focaliser sur l'histoire de la tortue. Parce que pour bien sentir la détresse du personnage principal, la disparition de la tortue, et les enjeux que cela engendre, il aurait été tellement mieux pensé de faire apparaître la tortue le minimum possible...


En fait, j'ai l'impression que toutes les idées jetées au début du film m'ont tellement plu et touché que j'ai déjà essayé d'imaginer la suite, me faisant mon propre film là où celui de Sono partait dans une direction que je ne souhaitais pas. Je sais que c'est censé être un "film familial" qui tranche un peu avec le ton des films habituels de Sono, mais le début laisse présager une oeuvre un brin subversive et cynique.
Il n'en est rien, la deuxième moitié du film part dans la niaiserie la plus totale, et j'irais jusqu'à dire que ce Love and Peace est presque le Be Sure to Share surréaliste. Une oeuvre trop mielleuse, trop innocente, et un peu bancale. Il plaira peut-être à ceux qui se sont sentis touchés par... par je ne sais quoi en fait.


Pour conclure sur l'oeuvre de Sono, voilà autre chose que je trouve fantastique : j'ai l'impression qu'on adhère à son univers ou pas. Par exemple, entre quelqu'un qui adore les drames excentriques et acidulés Himizu et Hazard pour mépriser totalement le côté lisse de Land of Hope, et quelqu'un qui pense totalement l'inverse; entre quelqu'un qui aime la violence crue de Cold Fish, quelqu'un qui préfère le côté esthétique de Tokyo Tribe, et quelqu'un qui aime rire grassement devant The Virgin Psychics; le combat est le même.
Toutes ces appréciations, aussi diverses et variées qu'elles puissent être, convergent vers le même point : l'oeuvre foutraque et carrément unique d'un réalisateur japonais multi-casquettes qui n'a pas peur de parler des dégâts psychologiques et physiques du nucléaire sur le Japon, de la violence et de la folie des individus en marge de la société, de l'amour dans les dimensions les plus étranges qu'il puisse prendre et dans les circonstances les plus bizarres dans lesquelles il peut apparaître, et encore de tas de sujets soit tabous, soit dérangeants, soit insolites... Le tout en insérant toujours un tas de clins d'oeil au 7ème art dont je ne peux probablement pas distinguer le quart, et toujours en arrivant à garder son univers complètement absurde voire surréaliste, mais toujours cohérent dans son absurdité.


C'est pour ça que même si je n'ai pas vraiment aimé le côté mielleux de Love and Peace qui selon moi ne colle pas avec son postulat complètement dingue (un peu à la Why don't you play in hell?), je ne renie pas sa place sans égal dans la filmographie de Shion Sono.
Je comprends à peu près ce qu'il a essayé de faire en peignant ce Japon moderne qui ferme les yeux sur le passé, mais je trouve vraiment dommage qu'il ne soit pas allé plus loin dans ce côté utopie inconsciente et critique de la société, comme il l'a souvent fait avant.
Plus particulièrement, je ne renie pas sa place dans sa discographie de 2015, course effrénée qui n'aura pas vraiment produit de chef d'oeuvre, mais plutôt des esquisses de grands films. Et n'oubliez pas, un certain Schopenhauer (dont j'adore parler puisque c'est une de mes rares références en philosophie) disait que les esquisses c'est du vrai Art, puisque le spectateur y insère son propre imaginaire, sa propre réflexion.

burekuchan
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le 5 avr. 2016

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