On serait presque étonnés de voir un nom tel que celui d’Hideaki Anno apparaître au générique de « Love & Pop ». Depuis peu sorti de sa série animée « Neon Genesis Evangelion », le réalisateur japonais délaisse ainsi la science-fiction pour arpenter les sentiers d’un teenage-movie particulièrement osé, dans lequel de jeunes lycéennes acceptent des rendez-vous avec des inconnus via des messageries téléphoniques. Adapté du roman éponyme de Ryû Murakami, « Love & Pop » cristallise un spleen controversé, absorbant via une réalisation radicale, notamment axée sur la détresse urbaine.
On imaginerait bien Gaspar Noé, ou encore Darren Aronofsky, saliver face à cette errance nippone, volontiers qualifiable de positivement dérangeante. Au-delà d’une benoite adaptation brièvement subversive, « Love & Pop » se dresse comme une étude des êtres, explorant une société japonaise où la technologie broie les individus dans la solitude et l’inconscience de ce qu’ils sont. Pour ce faire, Hideaki Anno emploie, dans sa réalisation, les formes de l’animation. La caméra observe depuis tous les angles, capte les bruits de fond, les futilités quotidiennes, liant divers emplacement, et diverses approches visuelles du film. Parfois, la caméra se place en vision subjective de l’héroïne, Hiromi. Elle peut-être incorporée à un objet. Sillonner le ras du sol. Parfois même se positionner dans un regard extérieur à celui du personnage principal.
Au travers de cette mise en scène un tantinet ostentatoire, « Love & Pop », au-delà d’une remarquable acuité, insiste notamment sur un aspect : la relation entre l’être et son espace. C’est ce qui fait pression sur le corps et l’esprit d’Himori : elle ne sait que faire de son temps, et de son espace. Mais outre cette pression, l’esthétique développée par Hideaki Anno permet également d’embrasser la fugacité engluant cette jeunesse impavide. D’ailleurs, le film n’est pas sans nous faire remémorer un certain Nagisa Ôshima, qui en 1960 signait l’immuable « Contes cruels de la jeunesse », aujourd’hui pierre angulaire de la nouvelle vague nippone. Outre leurs gouts respectifs pour les sujets tabous, les deux films partagent la vision d’une jeunesse japonaise aux repères travestis, se reflétant dans sa propre superficialité, face à une société comblée d’ersatz.
Capture mélancolique et sexuée du Japon des 90’s, « Love & Pop » se décarcasse de toute morale, conduisant son héroïne à s’interroger sur ce qu’elle est, au-delà de ce qu’elle a. Introspection se mêlant à une quête sociale, le film n’a de cesse de fuir la réalité, pour s’encrer dans la perception, entre voie-off, fondus enchainés et interrogation directe sur le regard de l’autre. Synthèse des obsessions de la consommation moderne, « Love & Pop » débloque ainsi de multiples spirales narratives, planant entre un découpage aliéné et une richesse plastique autant radicale que conjecturale. Parfois, on ne saurait guère comment rapporter une telle ambivalence, surtout face à un film à la fois si léger et si pessimiste. « Love & Pop » s’avère, justement, mélancolique par ce même aspect frivole, se contenant dans l’argument d’une observation de la société japonaise déshumanisée pour se targuer d’une humilité électrique, non loin des lubies littéraires d’un Don DeLillo au pays du Soleil levant. Loin d’un film dépressif, Anno questionne ouvertement sur le sens de cette existence fissurée, avec une justesse étrange, au service de cette errance cristalline dans les bas fonds d’un Tokyo tabou. All pop everything !
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