L’époque étant ce qu’elle est, sortit en 2017 un film sur la ségrégation & les droits civiques ne peut pas être anodin. Pourtant, dans la lignée du cinéma de Jeff Nichols, le film ne cherche pas à faire le coup de poing du côté de la grande Histoire, tonitruante & grandiloquente. Au contraire il s’ancre à chaque instant dans l’intimité d’un couple ordinaire dépassé par les tempêtes qu’il déchaîne. C’est sa grande force, & aussi sa plus grande limite.
L’histoire de ce couple mixte (un blanc & une noire) dans un état où les mariages mixtes ne sont pas légaux pourrait accoucher d’un film cousu de fil blanc (ou plutôt rose) sur la sortie de la ségrégation. Il n’en est rien.
Grâce au talent incroyable du trio Jeff Nichols (réalisation), Ruth Negga (la charmante Mildred) & Joel Edgerton (Richard). Tout en retenue, en sobriété & en silences, ils installent le film dans un registre volontairement lent (certains diront chiant, je le crains) & intimiste. Bien loin du battage médiatique ou des harangues de tribunaux, le film nous ramène inlassablement à l’intérieur du cocon familial, lieu de vie quotidienne & de silences entre 2 amoureux que la moindre phrase semble écorcher. & c’est en rendant la parole rare que J. Nichols la rend forte, chez R. Negga dont la prestation lumineuse sera saluée par tous, mais surtout chez le taiseux J. Edgerton, qui interprète un personnage tout en retenue, toujours dépassé par les évènements qu’il déclenche alors qu’il ne demande qu’à vivre tranquille dans sa maison avec sa femme. L’ensemble étant magnifié par une photographie magnifique dans l’Amérique rurale des 50’s & par une réalisation épurée & discrète, loin des tintamarres hollywoodiens habituels. Le film se veut lent & se donne les moyens de l’être avec un talent certain. Il veut aussi rester au niveau de la seule vie du couple Loving, refusant presque de se préoccuper de l’environnement & des conséquences qui rendent cette histoire si historique.
C’est d’ailleurs là que le film atteint ses limites. Certains passages auraient en effet probablement mérités de s’enflammer un peu. De sortir de l’intimité de ce couple pour allumer un minimum les projecteurs sur les autres protagonistes. Sur le racisme par trop ordinaire de ce Sud ségrégationniste. Sur ces avocats carriéristes qui jettent cyniquement ce couple un peu arriéré en pâture à la justice pour se faire un nom en étant à l’origine d’une modification de la constitution états-unienne. Ces sujets semblent clairement survolés pour ne pas endommager le côté intimiste du film, alors qu’ils auraient pu lui offrir un contrepoint qui l’aurait à mon sens magnifié. Car en refusant d’élargir son histoire, J. Nichols passe probablement là à côté de l’Histoire dont fait partie son film.
Il en ressort un film dont le drame ne se départit jamais d’une grande douceur & d’une force aussi puissante que tranquille, mais qui manque probablement d’embraser le sujet général en refusant de sortir de son cocon intimiste.