Cela semblera peut-être bateau comme entame, mais il semble difficile d’aborder ce nouveau long-métrage de Roger Avary, 17 ans après son mémorable « Les lois de l’attraction », sans évoquer ce qui a présidé à sa conception. Car dans l’intervalle, si l’ancien pote de Tarantino aura eu le temps de scénariser quelques films (dont le Silent Hill de Gans), il aura surtout traversé des épreuves personnelles qui l’auront bien évidemment marqué profondément, au point d’imprégner ce nouvel opus dans ses fondations. En effet, en 2008, le scénariste-réalisateur aura purgé une peine de prison pour conduite en état d’ivresse ayant entrainé la mort d’un ami présent dans la voiture. Ayant eu du mal à revenir sur le devant de la scène, il aura choisi pour son retour par la petite porte, de s’attaquer à un script de longue date, prévu initialement comme une suite à Killing Zoé, qu’il aura retravaillé en y intégrant des éléments de son vécu, ce qui donne au final au film un cachet bien plus personnel que ce que vous lirez à droite, à gauche.
Des critiques fatigués parleront simplement de Tarantinade, de celles qui florissaient par dizaines dans les 90’s, généralement en dtv, et réalisées par des tâcherons capitalisant sur le succès du Maître pour s’en mettre plein les poches à peu de frais. Seulement ce serait oublier que Avary a contribué à son niveau à la création de ce cinéma, et que le terme n’a aucune raison d’être le concernant. Arrivé au même moment que QT dans le milieu, il aura également écrit un segment de Pulp Fiction (bien que Quentin se soit totalement approprié sa descendance), et si ce nouveau film peut dans un premier temps faire craindre un excès d’hystérie et de grand guignol, évoquant les pires moments de son premier long métrage, il s’avèrera finalement rapidement bien plus profond que ça. Il faudra donc arriver prêt à endurer des scènes un peu poussives dans un premier temps, pour finalement se surprendre à être ému devant les élans quasi romanesques de l’écriture.
Red sort de prison après une peine de 2 ans pour braquage de banque. Il retrouve sa femme Chloé et leur fille Béatrice. Le même jour, Luc Chaltiel, frère de son complice mort le jour du braquage, refait surface, bien décidé à accomplir sa vengeance en semant le plus de cadavres possible sur son passage, pour la beauté du geste.
Vous l’aurez compris à travers ce synopsis, on retrouve clairement les grandes lignes de ce qui pourrait constituer la suite des aventures du personnage campé par Eric Stoltz dans Killing Zoé, si ce n’est que les noms des personnages ont changé, et que le réalisateur y ajoute donc de nouveaux éléments en forme d’exorcisme personnel. Ce qui surprend très rapidement, c’est que au-delà de l’aspect volontairement outré de la caractérisation de son grand méchant, psychopathe incontrôlable décrit clairement par un dialogue comme le Mal absolu, un Terminator traçant son chemin et que rien, ni personne ne semble pouvoir arrêter, interprété par Crispin Glover avec toute la démesure dont ce dernier peut être capable, le cinéaste soigne dans le même temps ses autres personnages, particulièrement son couple principal, auquel on s’attache instantanément. Entre la roue libre de son antagoniste, et la douceur des scènes de couple, ou avec la petite fille, un équilibre fragile sur le papier, mais naturel à l’écran, se créé progressivement, au point que l’intrigue, volontairement très minimaliste, passe presque au seconde plan au profit de scènes de dialogues bien écrites, accordant une vraie importance à ses personnages que le cinéaste aime profondément. Il en est ainsi également des retrouvailles avec son ancien compère (Clé Bennett), anciennement surnommé Leroy, mais désormais Le roi, une blague plutôt bien sentie, où l’on retrouve ce sens du dialogue propre au scénariste, mais que l’on aurait une fois de plus tort de rapprocher un peu trop hâtivement du travail de Tarantino. Les situations ne sont pas aussi dilatées ici, on est plus dans une approche humaine, où du temps est laissé au temps pour nous faire comprendre les enjeux, et où en sont les protagonistes à ce moment précis.
Situé sur une journée, l’intrigue est simple, dégraissée, et entre deux dialogues, Avary jubile à nous balancer des saillies de violence dont il a le secret, avec Crispin Glover dans le rôle du Boogeyman salissant le décor avec un sourire vicelard. Le grand moment sera bien évidemment ce vernissage dans une galerie d’art se terminant en massacre général où le décor sera repeint à l’hémoglobine, mais comme tout ceci n’est pas bien sérieux, on jubilera bien entendu devant l’excès général. On se plaira également à repérer certains acteurs méconnaissables (avec les apparitions gratinées de Tomer Sisley et Mark Dacascos), et à y déceler toutes les situations à double niveau de lecture disséminées partout dans le film, notamment ce personnage d’agent de probation campé par Clifton Collins Jr, qui semble au départ assez chargé, mais qui au final surprend par l’absence d’esprit revanchard de la part de Avary et l’humanisme mis dans son personnage.
Au final, s’il ne s’agit bien évidemment pas du grand retour de Avary aux affaires (ce sera peut-être pour Glamorama, il semble toujours travailler dessus), le film n’en a de toute façon par la prétention. En revanche, on a là un drôle d’objet bien plus émouvant que prévu, où l’étude de personnages prime sur l’intrigue de série B (limite Z), et dont la fin d’une sincérité désarmante nous laisse avec un sourire satisfait. C’était bien plus que ce que l’on en attendait, donc aucune raison de bouder son plaisir, même dans un film bancal. S’il ne s’agit donc pas d’un film Tarantinesque, la meilleure façon de le défendre est finalement d’affirmer qu’il s’agit d’un pur film de Roger Avary ! Et me concernant, c’est une qualité !