Vraie-fausse suite au plaisant mais inégal Killing Zoe, sorti en 1994 et point de départ de sa carrière de metteur en scène, Lucky Day marque surtout le retour derrière la caméra de Roger Avary près de 18 ans après son dernier film en date, Les Lois de l'Attraction. Un retour pour le moins attendu puisque malgré sa maigre carrière, le réalisateur est parvenu à se construire une réputation d'auteur sulfureux et surtout totalement enclin aux expérimentations visuelles de toutes sortes, voire même assez révolutionnaires pour son époque.
Hélas, trois fois hélas, Lucky Day n'est en rien le retour flamboyant que l'on était en mesure d'attendre venant d'un tel nom, surtout après tant d'années d'absence. Si le film revendique très clairement et dès le départ un esprit décalé et typé "années 90", Roger Avary n'en aura conservé que le pire des productions de cette époque, que cela soit dans sa construction narrative ou bien dans ses ressorts comiques. Alors que Killing Zoe faisait preuve d'une certaine intelligence dû à ses moyens ultra-réduits alloués à l'époque, Lucky Day veut en revanche trop en faire sans toutefois avoir les moyens de ses ambitions, et tombe très vite dans le piège de la vulgarité bas-du-front. Entre multiplication de scènes de sexe inutiles et blagues graveleuses incessantes, cette tendance à la provocation facile à peine digne d'un enfant de 12 ans gêne plus qu'autre chose tant il semble totalement hors-de-propos et ce, notamment parce que la forme, elle, manque terriblement de folie par rapport au sujet traité.
C'est bien ce cruel manque d'inventivité visuelle qui choque pour un film signé Roger Avary. Alors que Les Lois de l'Attraction surprend toujours autant (même encore aujourd'hui) grâce à ses audaces visuelles et de montage toujours à la frontière entre le ridicule et l'avant-garde, Lucky Day est une oeuvre dont l'encéphalogramme du fun reste au plus bas, tuant dans l’œuf toutes ses (maigres) tentatives humoristiques. Il y avait pourtant tant à faire avec ce casting rempli de seconds couteaux parfaits pour ce type de production mais force est de constater que personne ne semble pleinement s'amuser tant leurs personnages manquent d'un vrai relief, à l'instar du pourtant génial Crispin Glover, ici grimé en tueur à gages parlant avec un accent français à couper au couteau, dont le personnage ne dépasse jamais son statut de blague sur pattes, jusqu'à en devenir insupportable passées ses 5 premières minutes de temps à l'écran.
Devant tant d'acharnement vain, on pensait pouvoir au moins compter sur quelques scènes d'actions efficaces à se mettre sous la dent mais une fois de plus on est loin, bien loin du défouloir attendu. Filmées sans inventivité et déjà vues bien des fois auparavant, aucune scène ne se détache d'une autre que cela soit dans ses cascades, son cadre ou même ses enjeux, le film n'étant qu'une course-poursuite incessante mais sans l'urgence nécessaire pour ce type de narration. Plus triste encore, toujours dans sa recherche de provocation facile, le film nous offre même en guise de cerise sur le gâteau une scène de fusillade dans un musée au mauvais goût tout simplement détestable, censé être une réflexion sur le monde de la critique cinéma et de l'art en général, mais qui finit par n'être qu'une blague ratée au propos dangereux.
La frustration est donc plus que de mise tant on voit tout le potentiel gâché de ce nouvel opus pourtant intriguant sur le papier. Avec Lucky Day, Roger Avary n'aura clairement pas su renouer avec ce qui faisait la fureur de ses débuts ni même sa singularité, bien au contraire. En résulte un film poussif, vulgaire, qui ne dégage rien et ne semble même pas s'amuser lui-même. Et c'est peut-être ça le plus triste.
[Critique originellement publiée sur D'un Ecran à l'Autre]