Premier long métrage de Julia Ducournau (après avoir réalisé le court-métrage Junior et le téléfilm Mange), Grave s'est fait connaître avant tout pour son succès surprise à la Semaine de la Critique du dernier Festival de Cannes. Mais ce qui a véritablement créé un buzz monstre autour du film, c'est cette histoire (un peu ridicule il faut l'avouer) de ces deux pauvres spectateurs ayant fait un malaise au festival de Toronto.
Dès lors, les questions fusent. Faut-il vraiment s'attendre à un film gore traumatisant dans la veine d'un Cannibal Holocaust ? La réponse est non. Mais Grave risque de vous marquer, ça c'est certain.
Il est très difficile d'aller dans les détails pour critiquer ce film puisque selon moi, il est indispensable de ne s'en tenir qu'à son pitch principal, à savoir une jeune végétarienne qui va devenir (grande) amatrice de viande après un bizutage à base de rein de lapin. Une fois cette histoire (vague mais intrigante) posée, c'est là que le film nous emporte dans son univers à la fois glauque, oppressant mais aussi terriblement réaliste.
La représentation de la jeunesse dans Grave est une des plus justes qu'il m'ait été donné de voir dans un film (en particulier français). La réalisatrice ne cherche jamais à aller dans la provocation gratuite ni même à juger les jeunes et leur état d'esprit (pas même les responsables du bizutage qui va conduire Justine à devenir cannibale). En jouant évidemment le parallèle entre la faim de viande de Justine (jouée à la très talentueuse Garance Marillier) et son désir amoureux/sexuel naissant, le film nous montre également une vision de la femme à milles lieux de ce que l'est habitué de voir traditionnellement. A aucun moment la femme n'est sexualisée dans ses gestes ou son comportement et elle est toujours filmée de manière extrêmement naturelle, sans artifice. Ajoutons à cela un énorme sous-texte féministe jamais convenu et jamais "en trop", et vous obtenez là une oeuvre qui, même sans son aspect horrifique, dispose déjà d'un message fort et inédit.
Mais parlons de l'horreur du film... Ne vous attendez pas à des amas d'hémoglobine ou de cadavres mutilés, vous serez clairement déçus (et cela n'est absolument pas le propos du film, contrairement à ce que la promotion laisse penser). Néanmoins, le film à l'intelligence de savoir distiller ses (quelques) moments véritablement trash et intenses pour leur donner un vrai impact sur le spectateur. Cet impact est d'autant plus fort quand on se surprend à rire aux très nombreuses touches d'humour qui instaurent ainsi une ambiance étrange et assez malsaine, où l'on finit par ne plus savoir quand rire ou quand frissonner devant certaines scènes choc, en particulier lors de LA scène-clé du film. Très très gros travail d'écriture à saluer.
Si on excepte quelques passages légèrement trop "scolaires" (sûrement hérités de son passage à la Fémis), Julia Ducournau a sorti un film quasiment parfait qui mérite de figurer en exemple pour les années à venir. Ce genre de film qui, en plus de redonner espoir au cinéma français, peut aisément devenir le porte-parole de toute une nouvelle génération engagée et fan d'un cinéma de genre qui ose aller au-delà du simple statut de "divertissement". Il n'y a maintenant plus qu'à croiser les doigts pour que Wild Bunch offre à Grave une distribution cinéma décente en mars prochain, il le mérite.
Merci Julia Ducournau.
Note : 9.5/10