Ce qui est bien avec Lucy, c'est que c'est un film qui n'a absolument aucune subtilité. Du coup, ça se voit. Et voir quelque chose, plutôt qu'essayer de le noyer de paroles ou de le chercher sous une montagne d'intentions, c'est assez important. Besson l'a compris. Bouclier anti-Cahiersducinéma activé dès le début, je peux commencer ma critique.

Ce qui est bien avec Lucy, c'est qu'il est beau. Il est beau dans sa musique ; https://www.youtube.com/watch?v=VGYLCmOVX_Y c'est du sperme auditif en paquet de douze, et le Requiem mozartien sur une scène de destruction d'un monde dans les hauts lieux de l'histoire parisienne, c'est ultra-éculé certes mais ça marche. La musique, ça contribue à produire quelque chose en plus des images et à les sublimer parfois, alors même si elle n'est qu'extradiégétique on ne va pas s'en priver. Il est beau dans Scarlett Johansson qui est consciente de disparaître à grands feu tant ce qu'elle ressent est intense, et qui vit pour se sacrifier, pour le bien de l'humanité. Une scène prouve la beauté de ce film, et ce n'est même pas une image : c'est ce merveilleux monologue où, allongée insensible à la douleur sous les mains des chirurgiens, elle déclare son amour et sa mémoire entière à sa mère dans un poème. La force poétique de ce monologue par rapport à l'écriture du reste n'a égale que celle du Livre de Job, chant désespéré de l'insignifiance humaine devant l'immensité de Dieu. Et en l'occurrence dans Lucy, Dieu c'est le savoir (okay Dieu c'est aussi Scarlett Johansson et Morgan Freeman mais bon). De femme et proie facile aux seins défendus, elle devient divinité inaccessible et se transforme en concept métaphysique, à la fois garante du savoir et de la matière, à la fois femme et ordinateur, sorte d'Ishtar babylonienne prête à annoncer l'aube d'une nouvelle civilisation. Ci-joint un article bon à partager, aussi bizarre que cette dernière phrase mais tout aussi intéressant ; il parle de BOOBS. http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1231615-lucy-est-metaphysique-les-seins-de-scarlett-johansson-au-crible-de-la-philosophie.html

Il est beau dans Scarlett Johansson, qui prouve son talent pour incarner des monstres de sang-froid et des machines à tuer. Scarlett Johansson passe de fantasme anatomique à fantasme cinématographique, et laisse toujours l'envie de tomber amoureux de ses belles et tendres lèvres en gros plan. Voilà, le film est taillé pour Scarlett Johansson, et je n'ai aucune objectivité puisque c'est un film où dès les cinq premières minutes on peut la voir vomir par terre, et ça ça n'a pas de prix.

Cependant Besson a dans Lucy le défaut de ne pas assumer pleinement ce qu'il met en scène, et c'est là ce qui n'est pas bien dans Lucy. On gueule sur les 10% parce que c'est une légende urbaine. On crache sur le pitch scientifique parce qu'il est bâclé. On vomit (comme Scarlett Johansson au début) sur la cohérence et sur ce que le scénario essaye de justifier parce qu'il se rate. On a raison.

Mais c'est surtout que le film est tellement ultrabadass qu'il n'a pas besoin de ce scénario-là, et que c'est ce scénario-là qui plombe tout. Lucy devrait pousser à fond tout ce qu'il a de spectaculaire, et nous montrer encore mieux qu'aucun film ne peut prétendre nous expliquer le sens du savoir universel en une heure trente. Le swag de Lucy n'a d'égal est aussi badass que Volcano, ce merveilleux film catastrophe avec Tommy Lee Jones. Volcano, c'est un film qui sait très bien que non, on n'arrête pas de la lave avec des parpaings ; que non, on ne dévie pas un flot de lave vers l'océan en faisant sauter un immeuble ; que non, on ne fait pas sauter un immeuble avec deux enfants en-dessous. Et fort de tout cela, il crée une situation de base aussi invraisemblable que le reste, à savoir un volcan qui pousse en plein Los Angeles, et cette situation invraisemblable justifie tout le reste, puisque de toute manière un volcan ne peut pas pousser en plein Los Angeles.

À la place de ça, Lucy, c'est Le Pic de Dante : il présente sa situation de base sérieusement en essayant de la rendre crédible, alors que ce n'est que fumisterie et qu'elle se casse la gueule à la moitié du film. Elle se casse tellement la gueule que Besson finit par l'oublier, et c'est là qu'il commence à nous embarquer à fond dans ce qu'il voulait faire. Besson c'est des chinois, une Audi, une bonnasse, du sang (et du vomi) : s'il n'y a pas de ça dans Lucy je sais pas quel film on a vu. Et ça, ça marche. La science et le scénario, même si Morgan Freeman joue le rôle du noir, ça marche pas. C'est ça qu'il faut que Besson comprenne pour utiliser 100% de son cerveau (olol).

Le film est largement sauvé, parce que Besson finit par se rendre compte que son histoire ne tient pas la route, et l'abandonne ; il le fait simplement un peu trop tard. On lui pardonnera. Il y a Scarlett Johansson. Il y a des monologues poétiques. Il y a des chinois. Il y a le savoir incommensurable, il y a la matière noire, il y a le temps. Il y a la claque dans la gueule qu'il est bon de prendre pour nous rappeler que face au monde nous sommes vides, nous sommes seuls, nous sommes rien.

Et vu notre propre insignifiance et celle de ce qu'on fait, ça ne vaut vraiment pas la peine de cracher sur un réalisateur qui n'aime rien d'autre que ses spectateurs.
Ashen
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le 12 août 2014

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Ashen

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