Le retour de Luc Besson ? Ce n'est pas encore pour cette année...
Vous pourrez me dire tout ce que vous voulez : pour moi, Luc Besson, c'est quatre films : "Le Grand bleu", "Nikita", "Leon" et "le Cinquième Elément". Tout ce qui est venu après cette époque n'est que désolation et chute libre à mes yeux. En tout cas, comparé à l'image que j'avais des films de Besson et de leur conception. Entre la trilogie des Minimoys, le terrible "Malavita", ou encore "Angel-A", j'avoue avoir beaucoup de mal à conserver intacte la confiance que j'avais en ce Monsieur. Et je ne parle même pas des productions "Europacorp" (sa boîte de prod') qui englobe certes quelques petits films sympas parfois, mais fait surtout office de générateur de bouses à pognon (désolé pour les fans...).
Pour aborder sereinement et avec recul "Lucy", son nouveau long-métrage, il m'a d'abord fallu accomplir sur moi-même un travail d'auto-persuasion : "non, Besson n'est pas fini. Besson en a encore sous le pied. Besson rallumera la flamme..." J'avoue, ça n'a pas été facile.
- Attention : spoilers -
Premier constat qu'il me faut établir d'emblée alors que les premières minutes s'égrainent : à cause de l'impressionnante notoriété du film à sa sortie en salles (je ne l'ai pas vu au cinéma) et de l'incroyable battage médiatique dont il a bénéficié, j'ai subi de très nombreux spoils qui ont fait que j'ai vu venir le scénar à des kilomètres. Et comme Lucy dure 01h30, générique de fin inclus, on peut dire qu'avec les bande-annonces d'aujourd'hui, on voit à peu près tout le film en moins de Trois minutes.
L'intrigue de base est des plus limpides : Lucy est une jeune femme dont on ne sait pas grand chose, mais qui ressemble à une étudiante comme une autre : une blonde un peu potiche qui n'a pas trop de cervelle et qui a de mauvaises fréquentations. Boom! En deux scènes, la voilà mouillée jusqu'au cou dans les activités illégales de la mafia chinoise. Et voilà qu'une série d'événements indépendants de sa volonté contraint Lucy à absorber une petite quantité de CPH-4, une drogue de synthèse qui prend la forme de petits crystaux bleus. Et à partir de là...
Parallèlement à cette intrigue, tandis que Lucy commence à...euh...faire des choses, on entend le laïus de Morgan Freeman, un scientifique qui mène une conférence sur le cerveau humain. Conférence qui tend à faire le lien entre cette drogue et les actions de Lucy, dont les capacités cognitives s'accroissent à une vitesse folle.. Problème, ce qui aurait pu partir d'une idée sympa semble rapidement partir en flammes en à peine quelques minutes, puisque l'héröine (Lucy, hein? Pas la matière stupéfiante!) se montre capable de choses qui vont bien au-delà du surnaturel... Il faut être très ouvert d'esprit.
Il est à noter que le postulat de départ du film, à savoir la thèse selon laquelle l'être humain n'exploiterait qu'une infime capacité de son cerveau, ne repose sur aucune vérité scientifique établie. Désolé pour celles et ceux qui en étaient encore persuadés, mais cette thèse n'est qu'une simple hypothèse, une idée reçue tenace. La plupart des Neurobiologistes estiment même que cette simple idée est absolument grotesque et qu'il est aisé de vérifier l'activité cérébrale au moyen d'une simple IRM. Et pour défendre le bifteak de Luc Besson, Morgan Freeman l'admet volontiers dans le film, lorsqu'on lui pose la question au cours de la conférence, même si la suite du film le contredit outrageusement...
Rapidement, on trouve un point fort plutôt conséquent au long métrage : Scarlett Johansson. En plus d'être incroyablement belle, la comédienne parvient une fois de plus à démontrer ses talents. Magnétique, convaincante, la jeune femme crève l'écran, au point qu'on ne voit bientôt carrément plus qu'elle, et qu'elle supplante le moindre acteur lui donnant la réplique.
Sa prestation est d'autant plus réussie qu'elle l'exerce au milieu d'une intrigue qui ne la met pas vraiment en valeur. Mais nous y reviendrons...
Beaucoup de bruit...
J'ai bien peur, cependant, que Scarlett soit l'unique vrai point fort d'un film au scénario "dé à coudre". En découvrant ce qu'elle peut faire en développant ses capacités cérébrales, on comprend que tout ceci n'est qu'un vulgaire prétexte à une débauche d'effets visuels -plutôt convaincants certes- au service d'un film d'action trait d'union fantastique qui ne fait que divertir sans jamais aller plus loin. Quelques petits détails prouvent bien que le sujet n'est jamais creusé, et confirment que Besson est moins intéressé par étayer son propos que par en mettre plein la vue. La rapidité de la transformation de Lucy en est un exemple frappant. La progression cognitive aurait pu être plus lente, mieux décrite, transposée au plan émotionnel. Mais non. Lucy devient instantanément froide, sans plus aucune gamme d'émotion. Elle maîtrise déjà tout à quelques minutes du début du film, et ne démontre plus le moindre signe de faiblesse.
Trois fois dommage, d'autant que d'autres films avaient déjà entrepris d'évoquer cette idée de révolution cognitive, et l'ont fait avec beaucoup plus de réussite. Je pense notamment à "Phénomène", avec Travolta, ou plus récemment "Limitless", un film génial dans lequel Bradley Cooper avale une pilule qui décuple son intelligence. A sa manière, et pour servir d'autres buts, "Inception" avait également effleuré ce postulat. Mais dans "Lucy", on sent l'excuse à plein nez, tant le film se montre poussif.
Vous allez sans doute me trouver trop sévère sur ce coup-là. Peut-être, en effet. Mais bon sang... Quand je pense à l'hallucinante image de marque du film, adulée par presque tout le monde... Un film qui était le plus demandé et le plus téléchargé sur la toile... Je me demande à quoi ça tient. Luc Besson, Scarlett, le marketing... Les trois?... En ce qui me concerne, je suis devant un petit film d'action divertissant à prendre au troisième degré, et qui se fend d'un propos scientifique qui lui, est bien au premier degré (à mes yeux).
Autre problème notoire : cela tient aux personnages. Les pouvoirs de Lucy rendent cette dernière rapidement invulnérable, et comme Scarlett la joue agressive et animale, les badguys font pâle figure. Les mafieux hong kongais, redoutables les cinq premières minutes du film, se font massacrer et balader les 01h25 suivantes. Il n'y a plus le moindre équilibre entre les protagonistes, et on ne voit plus que Lucy, à chaque plan, chaque séquence.
Toujours s'agissant de Lucy, ma grosse déception réside également dans la manière dont l'héroïne accepte sa nouvelle condition. Alors bien sûr, elle s'explique scénaristiquement parlant, puisque l'ingestion de CPH4 annihile toute émotion chez la jeune femme (elle l'explique à Morgan Freeman). Du coup, on n'a pas le temps de voir Lucy prendre conscience des changements, car elle passe trop vite de l'état "normal" à celui d'être "supérieur". Je dis trop vite, car tout le reste de l'intrigue consiste à la regarder faire de plus en plus de choses improbables à mesure que ses capacités augmentent (pourcentage affiché en gros plan au cas où on n'avait pas compris). L'action est largement privilégiée par rapport à l'aspect dramatique (car oui, "Lucy" est bel et bien un drame, à en juger par le dénouement...).
Si l'ensemble du long métrage m'a laissé quelque peu sur ma faim, je dois dire que la conclusion m'a carrément achevé. Une fin baclée, qui en termine avec le dernier gramme de crédibilité qui restait, et se présentant sous la forme d'un joyeux bordel à peine compréhensible qui doit ne pouvoir se déchiffrer que sous narcotiques. D'une certaine façon, Lucy me fait un peu penser aux deux derniers Matrix, des frères Wachowski. Une mélasse scientifico-philosophique flanquée d'un propos ô combien complexe, mais dont la finalité est d'en mettre plein la vue aux spectateurs en titillant leur curiosité, n'en déplaise aux cartésiens avides de réponses.
CONCLUSION :
Selon moi, Lucy ne mérite pas sa réputation et tout le battage médiatique qui a précédé et suivi sa sortie en salles. Certes, ça bouge, c'est relativement divertissant. Scarlett Johansson tire son épingle du jeu (on se demande comment), en nous offrant même la séquence très réussie et plutôt émouvante du coup de téléphone à sa mère Mais sorti de ça, on est seulement devant un petit film d'action-fantastique avec héroïne bad ass aux super pouvoirs. Rien de plus, rien de moins. Si vous cherchez autre chose, tournez les talons. Un film sans ambition, ni aura, ni vrai message.