Cool Hand Luke, c’est à la fois un Paul Newman qui conteste sans apporter d’autre eau au moulin que son insolence et son refus de l’ennui, et un Paul Newman en figure christique, galvanisant les foules et rentrant dans le mythe alors que le carrefour final apporte la dernière pièce symbolique à l’édifice de Stuart Rosenberg.
C’est l’ennui, de la petite ville puis de la prison, qui pousse à faire des conneries pour se faire remarquer, quitte à en payer des conséquences insoupçonnées. Alors on établit un record de goudronnage de route, un record de gobage d'œufs durs, on rafle la mise avec rien en main, et on blague pour pallier le sort qui s’acharne, Dieu qui est absent.
Avec une histoire de travaux forcés dans les États du sud, il paraissait évident que le sujet de la ségrégation devait apparaître, et il le fait, discrètement, au détour d’une phrase : “I’ve never killed a white man”. Rien de plus, mais suffisant pour apporter un sens lourd à l’absence de noir américains dans cette prison, qui elle aussi sépare selon la couleur de peau. Habile. Quant à la femme, si son unique présence se fait sous les traits d’une bimbo aguicheuse, c’est dans la continuité de la parabole chrétienne, en tant que tentatrice, l’évocation de la luxure qui fait tourner la tête aux hommes.
Cool Hand Luke est pleinement ancré dans le Nouvel Hollywood par son rejet des normes, étant cette ôde à la liberté absurde et naïve qui joue des contrastes tonales : entre la légèreté de ton portée par la musique de Lalo Schifrin, les blagues constantes et la bonne humeur qui régit le camp, et la cruauté du système pénitentiaire qui inflige deux ans d’esclavagisme moderne pour ébriété sur la voie publique, et que le Diable personnifie derrière ses lunette noires, mutique.
Le numéro 37 associé à Luke renvoie au verset suivant de l’évangile selon Saint Luc : “Car rien n'est impossible à Dieu”. En 1967, après la disparition du Code Hayes, rien n’est impossible à Hollywood non plus, et ainsi peut fleurir cette œuvre pessimiste et contestataire qui rappelle le plus grand mal de nos sociétés : “What we've got here is failure to communicate.”