Luna
Luna

Film de Dave McKean (2014)

On le devine dès les premières minutes - aux pauses, aux silences, aux ratures, au montage faussement erratique : au cours des deux heures à venir, Luna sera beaucoup de choses, mais pas un film, jamais un film, ce serait trop facile. Tantôt concert de jazz donné dans l'arrière-salle d'un bar lounge underground - tout en tentures grenat et vibrato de contrebasse. Tantôt dissertation sur l'art et l'engagement, rédigée avec fougue par un maniaque de la dialectique. Tantôt leçon de danse improvisée. Tantôt tango à l'improviste. Tantôt traité d'esthétique sur l'ombre et sur la lumière - et sur la façon dont elles entremêlent le rêve et la réalité. Tantôt livre d'illustrations animées, BD en traits réels. Tantôt recueil de poésies. Tantôt séance d'hypnothérapie. La biographie rêvée d'un Dave Mc Kean imaginaire.


Rien à redire, la beauté plastique de l'oeuvre est tétanisante : de la part d'un artiste de cette carrure, on aurait pu la tenir pour acquise, bien sûr, mais l'homme ne s'en surpasse pas moins, au point de transformer le plus anodin de ses plans en tableau marqué de sa griffe, et de donner à ses illustrations de la chair et des os (grâce, notamment, à la magie de décors taillés et peints sur mesure). Lancinante et feutrée, la musique s'écoule comme le ruisseau, la marée ou l'orage. Le rythme passe d'un plein à un délié, puis d'un délié à un plein, puis à d'autres déliés encore. Les visions de cauchemars s'enchaînent et rivalisent d'incongruité, de beauté, d'élégance horrifique. Mc Keane touche à tout : il écrit, scripte, filme, compose, joue du piano : c'est un orchestre de son et d'encre à lui tout seul. L'oeuvre est totale. Elle n'est pas images projetées d'un côté, notes jouées de l'autre et mouvement quelque part entre les deux. Son approche artistique transforme l'essai en une création insécable, dont chaque aspect se fait l'écho de ceux qui gravitent alentour - qu'il s'agisse de calculs, d'effets, de ressentis ou d'interprétations.


Dix ans plus tard, les masques et les miroirs sont toujours là. Ils ont simplement retrouvé leur place attitrée dans le coeur de l'homme (l'ont-ils jamais quittée, seulement ?). Tristes et sublimes, les pantins de réel qui font ici office de personnages ont les sourires et les grimaces de la Commedia dell'arte. Ils viennent avec leurs fantômes, leurs enfers, leurs malédictions, ils agitent leurs chaînes, exhalent leurs soupirs, de nuit, de jour, qu'importe, au point que le spectateur lui-même en finit hanté. Dans le bon sens du terme (qu'ils lui inventent peut-être).


Tout serait pour le mieux dans le plus fascinant des mondes s'il ne manquait pas une intrigue, une vraie, à la mesure de ce cadre luxueux : une histoire, ou un conte, ou quelque chose de complètement nouveau qui ne tiendrait ni de l'un ni de l'autre, ou des deux à la fois, et qui servirait de liant pour unir ces visions d'artiste plus que par le prétexte. En lieu et place, et à dessein, Mc Keane choisit l'intime et l'intimiste. On ne saurait pas le lui reprocher : sur le thème du deuil, de la fuite, de la vie, l'oeuvre touche, c'est certain - au point d'en faire mal, même, souvent - mais elle n'en est pas moins convenue, et n'en manque pas moins d'ambition scénaristique au regard des séquences miraculeuses qui viennent illuminer la narration. Lesquelles, par conséquent (et en dépit de toute la bienveillance dont on désire faire preuve), paraissent un peu gratuites, hélas.


Que l'on ne s'y trompe pas : Luna est une oeuvre brillante. Riche, rare, belle, lente, exigeante. Un peu froide, c'est certain. Cérébrale, c'est indiscutable. Qui ravira les amateurs de cinéma indépendant, les écorchés dans l'âme et les imaginateurs de tout crin.


Les fans de Dave Mc Kean, eux, seront aux anges déchus.

Liehd
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le 6 juin 2015

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Liehd

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