En découvrant le nouvel opus du maître Dario Argento, Occhiali Neri, à l’occasion de l’ouverture de sa rétrospective à la Cinémathèque Française, admettons que nous n’en attendions pas grand chose dix ans après l’effarant Dracula 3D, et une fin de carrière souvent décevante. Sans crier au chef-d’œuvre, nous fûmes au moins heureux d’y trouver un objet modeste et touchant, réactualisant notre regard sur son auteur.

L’intrigue d’Occhiali Neri, disons-le d’emblée, file en pilotage automatique. Une jeune prostituée est aveuglée à la suite d’un accident de voiture provoqué intentionnellement par un tueur invisible, et assiste par la même occasion à la mort des parents d’un jeune chinois qu’elle recueillera plus tard. On suit la traque de ce duo insolite – accompagné d’un chien guide – avec l’intérêt induit par une mise en scène souvent fonctionnelle. Pas de dépense de calories face à un ahurissant déchaînement de violence – Occhiali Neri n’est pas Opera (1987)– pas de transe extatique devant un détour narratif visant l’abstraction et la pulsion scopique – Occhiali Neri n’est ni Le Syndrome de Stendhal (1996) ni Inferno (1980) – pas de jubilation de voir tout cela mêlé dans un opéra entre mauvais goût et sublime – Occhiali Neri n’est pas Phenomena (1985). Voilà qui est réglé, et, si l’on veut, regretté. Jusqu’à un certain point.


Jérôme Momcilovic disait à propos de Cry Macho (Clint Eastwood, 2021), autre œuvre tardive d’un génie que nous défendions déjà dans ces colonnes, qu’il était un film « faible », mais comme on dit d’un vieil homme qui l’est. Belle façon de défendre celui dont les beautés se logent aussi dans ses trous, ses baisses de régime, son apparente monotonie qui suit pleinement le tempo du corps de son acteur/metteur en scène. Le nouveau Argento ne peut reposer pleinement sur l’émotion véhiculée par le corps de son metteur en scène puisqu’il n’en est pas l’interprète. Pourtant, nous connaissons ce corps, sa cadence lancinante et souriante. Décortiqué amoureusement dans l’émouvant Vortex (Gaspar Noé, 2021), mais aussi de moins en moins avare en interventions diverses, en passionnantes interviews, autobiographie, ou documentaire (dont celui, réussi, de Jean-Baptiste Thoret, Soupirs dans un corridor lointain), Dario Argento nous a habitués à sa présence mélancolique et charmante. Elle hante ce nouvel opus qui joue non sans malice de son caractère récapitulatif. Si Occhiali Neri n’est pas au niveau de ses chefs-d’œuvre, il est tout empli des motifs de son cinéma. La brutalité de ses premiers gialli habite ses meurtres, le caractère féérique et macabre de la deuxième partie de carrière se retrouve dans le beau virage que prend le récit à la faveur d’une escapade en forêt, dans une nuit irréelle. Tous ces motifs sont rejoués en mode mineur, avec une douceur insoupçonnée dans son cinéma. Si la musique d’Arnaud Rebotini – jubilatoire – tente de retrouver la jouissance à l’œuvre dans les scores des Goblin, réactualisée dans des teintes de night-club berlinois, Argento n’est pas dupe. Il sait bien que ses obsessions sont celles d’un autre temps, qu’il n’a plus complètement sa place dans le cinéma contemporain. Il se contente de rejouer une partition volontiers fausse, mais hantée par toute son ambition passée.


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PjeraZana
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le 18 août 2022

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