Forcément, quand trois personnalités aussi atypiques que Dalle (plus rock’n’roll tu meurs), Gainsbourg (complètement maso chez von Trier) et Noé (chamboule tout du cinéma français) décident de faire un film ensemble sous les auspices de la maison Saint Laurent, forcément ça a de la gueule, y’a du palpitant, du glam à mort. Parce que voir Gainsbourg en robe cuir griffée sur le bûcher, pose à moitié lascive à moitié fais-moi mal, c’est quand même super glam. Noé, pour sa carte blanche haute couture (après celles offertes à Daido Moriyama, Vanessa Beecroft et Bret Easton Ellis), a décidé de revisiter La nuit américaine façon trip nocturne et épileptique, de parler cinéma et sorcières (références en exergue à Häxan et Jour de colère) sur fonds vert et rouge qui clignotent, et qui clignotent vachement.
Pour ça il convoque Dreyer, Godard, Fassbinder et Buñuel, il les cite à l’écran, en majuscules. Il fait de la mise en abîme, il split-screen, il se moque, il flashe. Il transforme la Dalle en réalisatrice en conflit permanent et qui perd les pédales. Il fait d’un tournage bordélique un chaos pulsé où les femmes, encore une fois, sont les victimes des hommes (producteur belliqueux, chef op tyrannique, des relous autour…). Dalle se rebelle et devient folle, Gainsbourg connaît l’extase du jeu dans la douleur, des mannequins filiformes n’en peuvent plus, veulent que ça s’arrête. Quelques minutes de vibrations optiques pour finir, comme un hommage en transe à Dostoïevski, grand épileptique cité en préambule. Avec ce qui nous reste de rétine, on essaie éventuellement de trouver la sortie, encore saisi (aveuglé) par la chose.
Noé a remisé ses provocs et ses plans impossibles, mais pas Benoît Debie, toujours là à la lumière. Presque en entier improvisé (et donc pas toujours juste), entre confessions d’actrices sur canapé et engueulades non-stop, sa diatribe méta sur les coulisses du cinéma (Noé fuit les grosses productions, les scénarios, les ordres, les limites…) se transforme en foutoir théorique sur la violence que peut engendrer l’exercice de la mise en scène et de la direction d’acteurs (demandez donc à Hitchcock, Zulawski, Pialat, Kechiche…). Finalement, le gros reproche que l’on pourra faire à Lux æterna, c’est son format trop court (cinquante minutes et c’est plié) qui ne permet pas d’étoffer davantage les personnages, de prendre le temps de raconter ce lent délitement du processus de création, de prolonger ce final fulminant, abstrait, où Noé, pour notre plus grand plaisir, nous malmène à coup de démesure stroboscopique.
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