Quatre ans après avoir réalisé le chef d’œuvre qu’est Metropolis, Fritz Lang se lance dans le cinéma parlant en cette année 1931. Une première incursion dans un art qui s’est profondément métamorphosé en peu de temps, avec de nouveaux codes, que le cinéaste va très rapidement s’approprier.
M le Maudit, c’est l’histoire d’une ville en proie à la folie meurtrière d’un inconnu qui s’en prend à des enfants au hasard en les attirant et en les tuant. C’est notamment la disparition et, très probablement, le meurtre d’une petite fille qui va soulever la colère de la population, et la faire réagir à l’unisson. D’un côté la police, amenée à faire son devoir, se voit en charge de mener de vastes rafles afin de dénicher le mystérieux tueur. De l’autre, la pègre, voyant la terreur qu’incite le tueur au sein de la population, et la menace que cela représente pour le bon fonctionnement de leurs affaires, se voit également dans le besoin de réagir afin de défendre ses intérêts. Le film se concentre donc sur cette vaste chasse à l’homme, d’un prédateur sexuel, qui va finalement aboutir à un simple modeste personnage apeuré, presque ingénu.
La façon dont est menée l’enquête nous fait suivre la population dans la colère qui l’habite, et on a envie de voir le terrible pervers tueur d’enfants se faire coffrer et recevoir la punition qu’il mérite. Au final, on tombe sur un bonhomme simplement fou, habité par des pulsions qu’il ne contrôle pas, nous faisant simplement imaginer le bonhomme innocent et tranquille qu’il serait sans cette folie qui l’habite. On arrive alors à un vrai mur : comment ne pas comprendre ceux qui veulent voir cet individu payer pour ses crimes, mais comment, quelque part, malgré tout, ne pas avoir pitié de lui ?
Il convient de rappeler que M le Maudit est le premier film parlant de Fritz Lang, et si l’arrivée du cinéma parlant a considérablement bouleversé les codes du septième art, le cinéaste allemand a rapidement su comment se les approprier et les exploiter pour donner vie à son film. Ici, le son est surtout un facteur d’emphase, intervenant pour mettre en évidence des détails essentiels, comme la mélodie sifflée par le tueur, ou, au contraire, souligner l’absence d’une petite fille qui tarde à rentrer chez elle. Allant jusqu’à rendre muettes certaines séquences, Fritz Lang plonge son film dans une atmosphère particulière, dans un « silence assourdissant » comme dirait Albert Camus, d’où émanent des clameurs et de longs débats, où le son est là pour mettre en évidence ce qui doit être observé.
Le film pointe du doigt un phénomène encore courant aujourd’hui, où les événements sensationnels, relayés par les médias, alimentent et inspirent la création de bouc-émissaires, centre de préoccupation du peuple, qui trouve en cette haine un os à ronger pour plonger dans le piège pervers de l’insatiable quête de satisfaction. Constatant l’année de sortie du film, impossible de ne pas penser à la montée du nazisme. Fritz Lang joue sur une ambiguïté permanente, entre l’application d’une justice expéditive, méritée, pour ce tueur d’enfants, et d’une véritable justice capable de considérer la pathologie dont il est victime. Le cinéaste propose ainsi le tableau d’une humanité déchirée et complexe, avec ses vertus et ses travers, ses justices et ses injustices, la foule, comme dans Les Nibelungen et Metropolis auparavant puis plus tard dans Furie, devenant le véritable catalyseur de la rage des Hommes.
Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art
Critique écrite en 2014 et remaniée en 2020